dimanche 17 juillet 2011
Le président de l’Assemblée nationale semble avoir lancer une croisade contre les organes qui portent des coups à la probité publique.
Ses cibles identifiées à ce jour sont : les députés, soupçonnés de détourner l’argent des micro-projets ; les gouverneurs de région et préfets, accusés de se faire du beurre sur le dos des prestataires des marchés publics ; les dirigeants de la Sodecoton, responsables, à ses yeux,
du mal-vivre paysan dans le septentrion. Et les journalistes, contre lesquels il a, du haut d’un lieu aussi symbolique que le perchoir de l’assemblée nationale, lancer d’horribles accusations de corruption. Qui est vraiment Cavaye Yeguié Djibril ? Ce portrait du nouveau Don quichotte de la politique, publié en 2007 alors que des rumeurs annonçaient son éviction du perchoir, reste d’actualité.
Cavaye Yeguié Djibril n’a pas l’aplomb d’un Kemayou Happi, affrontant Ahmadou Ahidjo du haut du perchoir, sur la question des pleins pouvoirs réclamés par le président de la République. Il n’a pas la prestance d’un Solomon Tandeng Muna qui, avant de se résigner à jouer les seconds rôles aux côtés du chef de l’Exécutif, se forgea le caractère, s’opposant au Dr Endeley, se détournant des options de son mentor John Ngu Foncha. L’élocution et la voix traînante de l’actuel président de l’Assemblée nationale le situent juste un cran au dessus de son prédécesseur, le pusillanime Fonka Shang Lawrence, tous deux formés à l’école de la docilité, de la soumission à l’exécutif, et à la discipline du parti dominant.
En effet, avec Cavaye Yeguié Djibril au perchoir de l’Assemblée nationale, Paul Biya peut dormir sur ses deux oreilles. Aucune faveur qu’il ne concèderait au chef de l’exécutif. Aucune remise en question des initiatives du Palais de l’Unité. Il a poussé à l’extrême la capacité de dominer ses sentiments pour les mettre au service d’un homme, à s’effacer, sans s’encombrer de masque, à faire place nette. Paul Biya ne peut-il descendre de son Olympe pour assister à un sommet régional ou sous-régional quelque part en Afrique ? Toutes affaires cessantes,Cavaye Yeguié Djibril va courir jouer les remplaçants. Ce fut le cas en Tunisie 2005. Du coup, « il est limité dans ses actions. Il ne peut être qu’un exécutant ; ce qui affaiblit toute l’institution parlementaire », commente Adamou Ndam Njoya, le président de l’Union démocratique du Cameroun. Notre confrère La Nouvelle presse, lui, le qualifie de « fidèle des fidèles » de Paul Biya.
Une telle fidélité appelle un retour d’ascenseur. C’est clair, Cavaye Yeguié Djibril n’a passé 15 ans à la tête du législatif que par la volonté du chef de Paul Biya. L’opinion l’enterre régulièrement à la veille de chaque rentrée parlementaire. Mais, aussitôt les députés réunis, les bruits sur son départ sont rapidement démentis par les instructions venues du Palais de l’Unité. Le scénario perdure. Depuis 2002. Et si, à deux reprises, sa carrière à la tête du parlement faillit connaître une interruption, ce ne fut pas du fait du Prince, mais de ses adversaires politiques locaux.
En 1997, à l’issue de son premier mandat de député à l’ère du multipartisme, la reconduction de sa candidature fut houleuse. Il ne dut son salut qu’à l’absence de son challenger, Jean-Baptiste Baskouda, alors secrétaire général du Minagri, fort opportunément envoyé en mission aux Etats-Unis au moment des primaires organisées par le Rdpc dans le Mayo-Sava en vue des investitures. L’alerte fut plus chaude en 2002. Cette fois-là, il évita de peu la sanction des militants alignés derrière son inlassable rival Touka Kla. Ce dernier, à l’époque Inspecteur des services au Minfib, s’était acquis les cœurs des populations par ses libéralités, quand le Pan se voyait, dans le même temps, son peu d’intérêt pour le sort des ses « frères ».
Générosité calculée
Depuis lors, Cavaye Yeguié Djibril a corrigé son profil de grippe-sou. On lui reconnaît désormais, par exemple, l’intégration de jeunes de sa localité au sein de l’administration du parlement, le fait d’ouvrir davantage les portes de sa résidence à qui veut bien entrer, et d’offrir, de plus en plus, gîte et couvert à la jeunesse estudiantine de son village. Une générosité calculée, poussée à fond à l’occasion de la campagne des législatives du 22 juillet 2007, par la promesse d’une somme de 100.000 Fcfa à tout bureau de vote de sa circonscription électorale qui voterait le Rdpc à 100%.
Cet homme rusé, que ni l’administrateur du travail Jean-Baptiste Baskouda, ni le financier Touka Kla, n’ont pu renverser malgré leur fougue juvénile, est-il victime de l’usure du temps ? La connivence avec Paul Biya, qui semblait se renforcer, va-t-elle survivre aux enjeux de l’heure et de l’avenir ?
En ces heures de préparatifs des batailles de 2011, une atmosphère pesante, exaspérée par une affaire de faux « Mémorandum du Grand-Nord », règne autour de Cavaye Yeguié Djibvril. Obnubilé par la défense de ses positions dans sa région, Cavaye Yeguié Djibril a-t-il commis l’erreur de fabriquer une fausse note de renseignement comme le pensent ses contempteurs ? Une partie de la presse nationale lèche Cavaye Yeguié Djibril, et voit dans l’affaire « Memorandum » une cabale montée pour empêcher son élection au prochain bureau de l’Assemblée nationale. Ses irréductibles adversaires, eux, presque tous originaires du Septentrion, n’hésitent pas à le lyncher, Touda Kla, son concurrent local de toujours, par exemple, l’attaque frontalement sur sa probité, sans toutefois fournie les preuves convaincantes de quelque infamie. Marcel Rodo, ex-Dg de l’Imprimerie nationale l’agresse plutôt par le flanc : au lendemain des législatives, estime t-il, le Septentrion a plus besoin du poste de Premier ministre que du perchoir de l’Assemblée nationale.
De son cloître d’Etoudi, Paul Biya doit s’amuser. Ce faux »Memorandum » du Grand-Nord aura au moins le mérite de produire le genre de film qu’il affectionne le plus : le spectacle de fidèles barons s’épiant, se surveillant, savonnant la planche les uns aux autres, le plus souvent par voix de média. Le chef de l’exécutif peut être tenté par le statut quo. Pourquoi, lui qui songerait à rempiler en 2011, se déciderait-il en effet à changer cette pièce malléable de son dispositif de contrôle du pouvoir ?
Cependant, même s’il était reconduit cette fois-ci encore, Cavaye Yeguié Djibril se sait permanemment en sursis. Tout indique que l’intéressé a anticipé la préparation de sa future retraite. En signant un arrêté paru le 7 janvier 2005 qui accorde « une pension et des avantages en nature aux anciens présidents de l’Assemblée nationale ». Descendre du perchoir, maintenant ou plus tard, ne sera donc pas synonyme de descente aux enfers pour Cavaye Yeguié Djibril. A Mada, son fief, situé à 5 km à Tokombéré, il occupera ses heures à l’entretien d’un immense verger, créé en 1992.
Retraite
C’est dans cette localité dont il est le chef depuis la mort de son père en 1971, qu’il voit le jour en 1940. A l’époque, deux clans y cohabitent : les Begeningna et les Ngreh-Mayo. A dix ans, il est inscrit à l’école publique de Mora. Il y obtient le Cepe en 1956, et est admis au collègue moderne de Garoua. En 1963, nanti d’un Bepc, il frappe à la porte du Centre régional des Sports. Il en sort avec le grade de maître en éducation physique. Commence alors une rapide carrière dans l’administration, interrompue en 1970, année de son premier séjour à l ’Assemblée nationale, dans les rangs de l’Union nationale camerounaise. L’écharpe tricolore fera désormais corps avec lui. Jusqu’en 1988. Entre temps, il a réussi le tour de changer de cadre. Devenu secrétaire d’administration, on le retrouve, à son départ du parlement en 1988, premier adjoint préfectoral à Maroua. Jusqu’à son retour à Ngoa-Ekelle en 1992.
En somme, une carrière riche qui, en principe, ne laisse place à aucun regret. Si Cavaye Yeguié Ndjibril avait à se faire du mouron, ce serait au sujet de sa nombreuse progéniture, de ses quatre épouses partagées entre ses résidences de Mada, Tombéré et Yaoundé. Mais avec une pension taillée sur mesure, il aura de quoi noyer mille soucis.
Par Xavier Luc Deutchoua(Le JOUR)