lundi 4 avril 2011
Lauréate du “ prix du courage féminin ” aux Etats-Unis, cette femme n’a pas fini de livrer les secrets de son long et difficile parcours.
“Tata Henriette”. C’est ainsi que ses confrères, amis et proches ont décidé de l’appeler. Elle aurait aussi pu s’appeler Marie Noëlle en rapport avec son époque de naissance. Une époque où l’avènement d’un enfant influençait le nom qu’il portait le long de sa vie. A soixante ans révolus, Ekwè Ebongo Henriette n’en fait pas cas. La vieille dame porte fièrement son nom. Du charisme, du courage et de la détermination, voilà ce que l’on retient d’elle. Un sourire assuré et un regard de fer. C’est une femme pleine d’énergie qui ne manque aucune occasion de dire ses convictions et ses espoirs malgré l’adversité dont elle fait l’objet.
Une adversité qui s’est encore ressentie dans le sillage de son séjour américain. La veille de son départ du Cameroun, la lauréate du “ prix du courage féminin ” échappe à une interpellation de la police locale. C’est la confusion d’une avocate des droits des minorités sexuelles qui lui met la puce à l’oreille. Une menace répétée à son hôtel à Washington où un homme essaye de forcer la porte de sa chambre à 3 heures du matin. Plus de peur que de mal car le lendemain, elle recevra son prix des mains de la secrétaire d’Etat américain aux Affaires étrangères qu’accompagne la première dame américaine. Hillary Clinton et Michelle Obama saluent l’engagement de la Camerounaise pour les avancées dans le processus démocratique et les modiques améliorations de la gouvernance au Cameroun et en Afrique. Pour Henriette Ekwè, il ne s’agit pas d’une consécration. “C’est une motivation supplémentaire pour poursuivre le combat qui est le mien depuis ma première jeunesse.”
Née à Ambam (région frontalière entre le Cameroun et le Gabon), elle y passe les sept premières années de sa vie avec son père, ancien cadre des impôts. Le retour de son paisible fonctionnaire de père à Douala marque la fin de son cursus primaire. Départ pour le lycée Leclerc de Yaoundé avant de boucler ce parcours au lycée Joss de Douala. Un parcours qu’elle effectue avec des célébrités telles Jean Claude Ottou, Ebelle Tobo, Yimga Moyo et autres Nsamè Mbongo. Des amis qu’elle a perdu de vue depuis une trentaine d’années. “Je n’en veux à personne. Même au sein de ma famille ça n’a pas été facile pour mes frères et proches d’assumer mon engagement militant.”
Est-ce la raison pour laquelle la fille anti-conformiste est envoyée en Europe pour la suite de son cursus ? Ironie du sort, c’est à Paris où la jeune étudiante engage des études d’histoire et d’anglais qu’elle développe le virus de la contestation et renforce ses convictions gauchistes. L’étudiante partage son temps entre les cours en faculté et une formation militante intensifiée au sein de la cellule de l’Union des populations du Cameroun (Upc). “Je n’ai rien à cacher”. “Nya Ngono” (son nom de code dans la clandestinité upéciste) prend à témoins ses compagnons de lutte. Abanda Kpama, Ndéma Alexis, Anicet Ekane et autres Théophile Nono sont ses camarades de promotion de cette cuvée de l’Upc.
Adhésion au projet du Renouveau
Des camarades avec lesquels elle adresse une lettre de félicitation à Paul Biya en 1983. Une position qu’elle ne regrette pas. “C’était notre devoir de le faire.” Une position que Nya Ngono explique par le fait que “l’Upc n’avait pas le même niveau politique que les autres partis de l’époque. Notre démarche consistait à encourager le nouveau chef de l’Etat à conduire le Cameroun vers une ouverture politique plus grande et la libéralisation de l’espace communicationnel.” Des espoirs brisés. Retour “au maquis”. Cette fois les armes ont changé de calibre. Finie l’ère des tracts. Le temps est à la presse. C’est le journal “Menzu” un organe de propagande de l’Upc qui se distribue d’abord dans la nuit avant de gagner les kiosques à la faveur de la libéralisation de la communication sociale. Suite et fin d’une expérience. Car le journal rencontre la détermination du gouvernement qui s’occupe de le faire disparaître des kiosques.
Vint le temps des grandes manœuvres politiques. Outre la rédaction de la plate forme de l’opposition, Henriette Ekwè et quelques amis fidèles participent à la matérialisation du journal “Ponda”. Et, quelques années plus tard Henriette Ekwè participe à la mise en route du “ Front indépendant ”. Un journal né des cendres de “l’indépendant” de Ndzana Semé. La bataille et les polémiques autour de ce titre décident la journaliste à prendre du recul pour mettre sa plume à contribution dans l’un des journaux les plus en vue de l’heure. L’aventure au côté de Séverin Tchounkeu dans “ La Nouvelle Expression ” va durée de 97 à 2005. Retour au “ Front ” où ses chroniques et éditoriaux mettent à nue la gabegie et l’incurie du régime de Yaoundé. Elle y connaît d’ailleurs une condamnation dans le cadre d’une plainte de l’argentier de l’heure Polycarpe Abah Abah.
C’est au terme de cette aventure que Henriette Ekwè s’engage dans une aventure éditoriale personnelle. A travers le projet “ Bebela ”, la nouvelle directrice de publication nourrit l’ambition de s’émanciper de certaines contingences et affronter les pontes de “l’immobilisme”. Entre dispositions financières et réalités du marché camerounais de la presse, la Dp passe au constat. D’abord celui des “journalistes qui ont perdu de la distance avec leurs sujets”. Aussi celui de la perte du sens de la confraternité dans la presse camerounaise. “Contrairement aux années 90”. Des aspects qui, selon Henriette Ekwè, s’illustrent dans l’affaire Bibi Ngota et les affaires des listes qui ont donné à voir des clivages existant entre la presse dite privée et “les grands journalistes et les journalistes progouvernementaux prompts à donner des leçons et à prendre position pour le gouvernement et les apparatchiks”.
Heureusement les résultats parlent d’eux mêmes. “Au moment où le chef de l’Etat demande des preuves pour confondre les détourneurs de fonds publics, c’est cette presse là qui les lui donne. C’est cette même presse qui lève les lièvres que suivent les grands journalistes. Enfin, poursuit t-elle, c’est cette même presse qui contribue à l’amélioration de la gouvernance et au renforcement du processus démocratique.” Une presse qui connaît ses tares aussi. Des dérapages entretenus par le pouvoir, selon Henriette Ekwè qui pense que “en maintenant la précarité dans la presse ceux qui détiennent le pouvoir savent qu’ils gardent les moyens de la manipuler et la présenter comme irresponsable au yeux de l’opinion.”
“Je me consacre à la réalisation de deux livres”
“Il faut mettre fin à l’instrumentalisation de la presse et aussi arrêter le débat sur les vrais et les faux journalistes”, pense la “Tata nationale”. Les énergies des hommes des médias, à en croire cette doyenne, doivent être mis à la revalorisation de la presse camerounaise. Surtout, “il faut appeler l’Etat à prendre ses responsabilités pour l’amélioration de la qualité de la presse.” Allusion au projet “ Bebela ” ? La directrice de publication tient à faire deux précisions. D’abord “Bebela ” n’est pas mort.” Surtout, Henriette Ekwè affirme que “si j’ai momentanément arrêté la publication de “ Bebela ”, c’est d’abord pour me donner les moyens d’offrir à mes collaborateurs les conditions minimales et décentes pour accomplir leur travail.”
Une âme de syndicaliste en somme. Peut être pas étonnant pour celle qui connaît la fondation du syndicat national des journalistes du Cameroun (Snjc). La responsable des questions de genre pour la section Afrique centrale de la Fédération internationale des journalistes (Fij) garde aussi un pied dans l’Union des journalistes du Cameroun. Une association dans laquelle elle assure la vice- présidence. Toutefois, elle reconnaît que “ce regroupement souffre des clivages entre les journalistes de la presse privée et ceux de la presse dite officielle.” Dans ce cas aussi, elle invoque les manquements de l’Etat qui tarde à contribuer à l’émergence d’organisations de journalistes fortes.
Transparency international miné par la corruption
“Je me suis retirée de Transparency international parce que j’avais le sentiment que cette organisation, au Cameroun, était contrôlée par Polycarpe Abah et le gouvernement.” Petite anecdote racontée par l’ancienne vice-présidente de la section Cameroun, lors d’une assemblée générale de cette organisation, le gros des efforts était fait pour que le gouvernement dans son ensemble y assiste au grand complet. Au détriment des acteurs de la société civile, déplore t-elle. Autre anecdote, “L’ancien ministre des Finances (Polycarpe Abah Abah ndlr) m’a fait savoir, par le truchement d’un journaliste dont je tairait le nom, que tous les moyens sont mis en jeu pour que je sois débarqué de cette association.” Objectif réussi. Car, les délégués de certaines régions du pays supposés être acquis à la candidate sont exclus de l’élection qu’elle perd. “La corruption avait atteint des proportions inimaginables dans cette organisation.” Conclut-elle.
Néanmoins, la militante des libertés et de la justice affirme, “je continue à me battre avec ma plume pour une bonne gouvernance.” Mais aussi, Henriette Ekwè s’investit dans la survie de l’Organisation non gouvernementale “Coalition pour la transparence” qu’elle a mise sur pied avec le journaliste Jean Bosco Talla. Autant elle garde le contact avec d’autres organisations impliquées dans la défense des droits de l’homme, autant elle garde le contact avec ses anciens camarades de la clandestinité, à l’instar du chef de l’Etat ivoirien Laurent Bagbo dont elle défend la légitimité et admire la détermination.
Au sujet de l’Union des populations du Cameroun (Upc) parti dans lequel elle a occupé des postes de responsabilité, elle garde bon espoir et dénonce les manœuvres de certains de ses membres supposés. “Dès le départ, nous avons clairement définis notre feuille de route. La plate forme proposée au gouvernement militait pour plus de justice sociale et des mesures fortes pour le progrès véritable du pays. Des préalables qui ont été bafoués par des personnes qui se réclamaient pourtant être des membres fondateurs du Rdpc et qui, le moment venu, ont rejoint l’Upc avec les conséquences qu’on connaît.” Au sujet de l’avenir, Henriette Ekwè précise : “ on a essayé de faire l’unité avec eux, mais ils ont réfusé la plate-forme politique que nous avons proposée. ” Unique solution, selon cette militante, “il faut faire l’évaluation du chemin parcouru avec la base pour amorcer une relance véritable de l’Upc.” Question pour l’Upc de porter à nouveau l’espoir du Cameroun.
Pêle mêle, la journaliste affirme que c’est les politologues français qui ont imposé à Ahidjo et Biya leur philosophie politique. Il n’existe pas une grande différence entre le libéralisme planifié d’Ahidjo et le libéralisme communautaire de Paul Biya, “tous attachés à la centralisation du pouvoir.” loin donc de la démocratie qui devrait impulser le développement du pays. Des raisons qui décide Henriette Ekwè à mettre sur le marché, “avant la fin de cette année” deux publications. Des publications consacrée aux vérités sur les villes mortes pendant les années de braise. Et une publication consacrées aux 30 ans du régime Biya. “Je continue à jouer la sentinelle de la gouvernance.” Un rôle qu’elle entend tenir aux côtés des autres journalistes.
Par Joseph OLINGA(Le Messager)