samedi 9 juillet 2011
Elle crée son carnet de bord sur le net pour surmonter ses frustrations de femme noire et africaine.
Bien avant 2006, Chantal Epée n’était pas une adepte d’Internet. Encore moins du blog (plateforme réduite sur le net où son initiateur peut exposer sa vision du monde). Mais un jour de novembre 2006, une envie pressante lui vient d’exprimer sa rage au monde. Dans le taxi qui la conduit sur une rue de France, elle entend débiter des « inepties » à la radio. « A niveau égal, les noirs et les arabes sont plus criminels que les blancs », raconte un journaliste dont la voix déchire les ondes. Et le coeur d’une auditrice « choquée ». Chantal Epée crée de suite un blog. Elle l’intitule « Dipitadidia » ou « il reste de l’espoir » en langue Duala, la langue de ses racines. Sur « Dipitadidia.unblog.fr », Chantal Epée présente un « autre regard » de son continent. Bien loin des lichés que se fait la pensée occidentale ou « occidentalo-centriste ». Elle n’y va pas de verbe mort lorsqu’elle parle de ses frustrations.
Elle les a encore évoquées à coeur joie lors d’un atelier sur les nouvelles technologies organisé le 25 juin dernier par l’antenne régionale de l’association des journalistes culturels Cameroon art critics (Camac). « Il ne s’agit pas pour moi de dire aux Africains de se battre, mais de dire qu’on est là, qu’on existe », martèle la bloggeuse. Sa plateforme est en quelque sorte le reflet de sa personnalité. Un tantinet douce, mais ferme. Féconde d’idées tranchées mais non violentes. Sur son blog, Chantal Epée a son moment de « respiration ». « Je ne suis pas journaliste, mais j’ai le droit de dire ce que je pense au monde », estime celle qui vit en France depuis plus de 20 ans. Elle poétise donc. Contre vents et marées. Contre Sarkozy et le bourreau de l’émancipation nègre. Elle s’offusque très souvent des stratégies politiques. Elle s’interroge sur la bonne foi de Sarkozy lorsqu’il prononce son discours pour marquer l’entrée d’Aimé Césaire au panthéon.
Morceaux choisis d’un regard inquisiteur : « reconnaître l’immense apport du “nègre fondamental” au patrimoine littéraire, culturel, politique, humain et plus encore à celui des définitions de l’humanité va de soi. Celui qui à 17h a fait un discours hommage l’a t-il jamais lu ? Le doute en moi est entêté. La biographie ânonnée par le chef de l’Etat donne à penser que le souffle qui animait le poète ne l’a pas touché. Un homme peut-il lire Césaire réellement, profondément sans que son humanité et son rapport à l’autre s’en trouvent modifiés ? Peut on avoir lu Césaire et véhiculer insidieusement dans la nation des semences de division et d’infériorisation latente de l’autre ? Peut-on avoir lu cet homme et envisager des identités strapontin pour les français issus de l’immigration ? J’en doute ».
Voilà qui est dit. Le blog a forgé son verbe et sa plume. C’est en toute logique de Chantal Epée prépare la sortie de son premier roman. Un autre blog est en construction. Cette fois, pour donner une visibilité aux arts nègres. Pour donner de la voix aux actions de l’association « diaspor’arts » qu’elle préside. « On met nos arts dans les ghetto culturels », martèle Chantal Epee. De fait, on présume aisément le contenu de ce nouveau blog.
Par Monique Ngo Mayag(Le Messager)