jeudi 29 octobre 2015
Dans un entretien réalisé quelques jours avant l’élection présidentielle par Le monde, conjointement avec Radio France internationale (Rfi) et l’Agence France-Presse(Afp), le chef de l’Etat sortant ivoirien Alassane Dramane Ouattara entendait maintenir le cap de la politique engagée depuis 2011 et en finir avec les accusations de justice des vainqueurs. Voici un extrait de cet entretien.
N’avez-vous pas trop tardé à mettre en examen ces derniers mois quelques-uns de vos chefs militaires ?
Non, le procès de mon prédécesseur (devant la Cour pénale internationale) n’a même pas commencé alors qu’il est à La Haye depuis novembre 2011. Pourquoi alors m’accuser de « justice des vainqueurs » ? Nous voulons un système judiciaire crédible, que la justice travaille en toute liberté et indépendance. Je ne céderai pas aux pressions de certaines Ong dont les déclarations sont fallacieuses et irresponsables. Si des partisans de Laurent Gbagbo ont d’abord été jugés, c’est parce qu’il y avait des cas de flagrants délits, tels que l’assassinat du général Gueï, du Français Yves Lamblin, il y a eu des femmes tuées par des chars, des tirs de mortier. Le flagrant délit était facile à constater et à juger. Pour être équitable, j’ai demandé une commission nationale d’enquête dont le travail est public(…).
L’échec de la Commission dialogue vérité et réconciliation (Cdvr), qui était présidée par Charles Konan Banny n’est-il pas également le vôtre ?
J’ai créé cette commission pour faire la lumière. Son travail n’était pas achevé. Peut-être parce que son président avait un autre projet, qu’il a d’ailleurs dévoilé. Alors j’ai mis en place une nouvelle commission, qui a commencé à indemniser les proches des victimes. La question de la réconciliation n’est pas facile, car elle vient du cœur, et il faut être deux pour se réconcilier. Je tends la main et je demande aux autres d’arrêter d’avoir des illusions. Ce que nous voulons, c’est que la justice fasse son travail. Et une fois que cela sera fait, nos lois permettent d’envisager des amnisties, des grâces.
Plus que sur la réconciliation entre les populations, il y a un échec de la réconciliation entre les politiques. N’est-ce pas dû au manque de volonté de part et d’autre ?
(…)Quand ma victoire a été confirmée en 2010, je voulais faire un gouvernement d’union et j’ai contacté Mamadou Koulibaly, qui était alors le patron du Fpi. Il m’avait donné son accord. J’avais prévu un poste de ministre d’Etat pour lui, et la veille il m’a dit que les gens du Fpi ne sont pas d’accord. J’ai finalement formé mon équipe avec ceux qui m’ont amené à la victoire. Aujourd’hui, je peux dire que je ne crois plus du tout en ces gouvernements d’union(…) La réconciliation politique se réglera toute seule, car notre coalition représente plus de 85 % des Ivoiriens et le Fpi sera bientôt vidé de sa substance(…).
Pourquoi ne pas avoir entamé durant votre mandat une réforme de l’article 35 de la Constitution qui a empoisonné votre carrière politique depuis 2000 ?
C’était une possibilité, mais nous aurons une nouvelle Constitution. J’espère dès l’année prochaine. Nous ferons un référendum afin d’enlever tous les germes potentiellement conflictuels de la Constitution actuelle. Nul ne doit être exclu en raison de sa religion, de son origine, de son ethnie ou de la couleur de sa peau(…).
Pensez-vous à la présidentielle de 2020 et à votre succession ?
Mon ambition est d’amener la Côte d’Ivoire à l’émergence et de m’assurer qu’après moi les efforts fournis, le niveau où nous avons amené la Côte d’Ivoire ne s’effondre pas. La question de la succession est capitale et c’est l’une des raisons pour lesquelles je vais m’atteler à proposer à mes concitoyens une nouvelle constitution qui donnera les garanties nécessaires pour que tout se passe de la manière la plus transparente et démocratique.
Pouvez-vous certifier que dans la nouvelle Constitution que vous souhaitez, si vous êtes élu, il n’y aura pas d’article qui lèvera la limitation à deux mandats à la tête de l’Etat ?
(...) La clause sur le quinquennat renouvelable une fois ne sera pas modifiée. J’aurais 78 ans en 2020, ça ne me vient même pas à l’esprit et même si on me le demandait, je ne le ferais pas. J’avais un cabinet de conseil qui me rapportait beaucoup d’argent, que j’ai dissous pour ne pas avoir de conflit d’intérêt. Je voudrais reprendre cette activité et je peux vous dire que je n’exclus pas de ne pas finir mon deuxième mandat. Si après trois ou quatre ans, ça va bien, pourquoi ne pas demander à un vice-président de prendre les choses en main ? J’ai vu que partout où il y a des postes de vice-président, cela a bien marché. Au Ghana et au Nigeria, quand le président est décédé, cela a bien marché. En Afrique du Sud, quand Thabo Mbeki a été évincé, c’est le vice-président qui a pris le relais. Je voudrais m’inspirer des meilleures pratiques et m’assurer qu’une fois que nous passons à une autre génération,les choses continueront de bien se passer.
Source : lemonde.fr