jeudi 29 décembre 2011
Après plus de 14 ans de carrière musicale avec à la clé quatre disques d’or de la musique camerounaise, elle est au Cameroun pour une série de spectacles. Elle en a profité pour présenter son 6ème album, « La nuit à Fébé », qu’elle vient de mettre sur le marché discographique. Elle fera sa première apparition en public ce mercredi 28 décembre 2011 du côté de Yaoundé en fête (Ya-fé) à Yaoundé. Puis elle mettra le cap pour Limbe où elle va prester le 31 décembre prochain. Sally Nyolo est venue célébrer les 10 ans du concept culturel « La nuit des océans » qui se déroule au Fini Hôtel. Entre cette actualité chargée, elle a pu trouver un moment pour se confier à la presse. Arrivée en début de matinée du mardi 27 décembre 2011, elle se dit prête à reconquérir son territoire. Et si ses fans se souviennent encore du titre « Mémoire du monde » (son avant dernier album), l’artiste musicienne veut se concentrer sur l’avenir. Elle parle désormais de « La nuit à Fébé », son dernier opus.
Un album qui a été travaillé durant plus de six ans. « Oui, c’est le temps qu’il m’a fallu pour accomplir un tel travail. Et je suis là pour reconquérir mon territoire », confie-t-elle. En effet, c’est qu’après tant d’années, il n’est toujours pas possible de rentrer en possession d’un album original de la chanteuse franco-camerounaise. Il n’existe pas de points de ventes capable de « La mère de Tribu », un des ses albums phare, qui avait habitué son public à une production tous les deux ans. Et ceci depuis 1996, date de la sortie de son premier album.
Une tradition qu’elle a respectée jusqu’en 2007. Puis, il a fallu attendre 4 ans pour voir naître « La nuit à Fébé », une composition de son fils qui, à l’époque, était âgé de 4 ans. Aujourd’hui âgé de 10 ans, Zaihan est venu accompagner sa mère au Cameroun.
Mais pour cette dernière, son fils ne fera pas de la musique son métier, il s’est juste inspiré de sa génitrice. « Il est plutôt intéressé par la recherche et la science ». À travers cette nouvelle galette musicale de 13 titres, l’artiste est retournée à la source. Sally Nyolo a appris à jouer du balafon traditionnel pour moderniser le bikutsi et l’imposer aux autres cultures. Dans ce nouvel album qui confirme sa volonté à s’ouvrir au monde, elle chante en français. Aujourd’hui, Sally Nyolo dit être prête à mettre sur pied un véritable réseau de distribution de ses disques au Cameroun. Profitant de cette venue au pays pour des vacances en famille, elle a livré ses projets et ambitions à Mutations.
Quand aura-t-on la possibilité d’avoir votre dernier album, « La nuit à Fébé », sur le marché du disque au Cameroun ?
Ce qui justifie ma présence au Cameroun, c’est la reconquête mon territoire. C’est vrai que je n’ai pas toujours eu l’occasion de venir et de témoigner ce que je défends tous les jours. Sur tous les continents, je défends nos couleurs, valeurs et racines. Il faut que les gens le sachent. Ce qui explique que je ne puisse être partout à la fois. Et donc en Europe, j’ai pu entrer en contact avec de nombreux partenaires avec qui je travaille. Et dernièrement pour mon dernier album, j’ai pu trouver des partenaires de taille. Ils ont fait confiance à toute la carrière que j’ai faite jusqu’aujourd’hui. Grâce au groupe Sony Music, j’ai pu donner un autre visage à tous mes autres produits. Même si ceux qui me connaissent vont penser que je ne me suis pas éloignée de mon style qui est le bikutsi.
Ce groupe est prêt à m’aider à aller au-delà de mes forces. Ce groupe (Sony Music) m’a fait confiance pour 4 prochains albums. Cette confiance me donne envie de leur ouvrir mon coeur. Et le leur ouvrir suppose que je les amène à la découverte de mon pays que j’ai défendu à travers tous les continents du monde. C’est ce qui justifie que je suis arrivée ici avec un des responsables de la maison de production Sony Music. Ce chef de production est venu avec moi lancer la sortie de mon nouvel album « La nuit à Fébé ». Et puisqu’il ne s’était jamais déplacer pour savoir comment nous savourons la musique, il est question de leur montrer comment cela se passe. Il fallait donc faire le déplacement pour vivre en direct le contact avec les fans. Afin qu’il n’imagine plus simplement des choses, mais qu’il sache que nous aimons la musique et nous consommons les Cd. Histoire d’ôter dans l’esprit de mes partenaires, toutes les mauvaises idées qu’ils ont de l’Afrique. Je souhaite qu’ils découvrent par eux mêmes que l’Afrique est un continent où émergent de superbes artistes, talentueux et capables de développer le continent à travers la musique de nos pays. Donc, c’est une marque de confiance que Sony Music va m’accorder bientôt. Il était donc de mon devoir de passer par le biais de mes connaissances pour arriver au Cameroun.
Ce qui explique que vous avez choisi d’assister à une série de spectacles dont celui des dix ans de « La nuits des océans » au Fini Hôtel de Limbe ?
Le cadre m’a rassuré, même si la propriétaire Catherine Dumas est ma soeur. Je suis venue en confiance. Et pour cela, je ne me suis pas déplacée avec mes musiciens, mais plutôt en famille. De choisir la période et de venir célébrer la Saint-Sylvestre au Cameroun. Et c’est par l’intermédiaire du Fini Hôtel et surtout par solidarité que je vais aussi prester à Ya-fé du côté de Yaoundé. De toute les façons, et puisque je suis déjà là, je ne vais rien refuser. J’espère seulement que 2012 sera une année de grande distribution et de représentation de ce travail. Et que malgré la piraterie, le travail que nous faisons pour la musique pourra être apprécié de tous. Parce que nous aimons la musique et avons envie de consommer les produits originaux de nos artistes. Je sais qu’ici, j’ai quatre disques d’or qui courent depuis l’album « Tribu ». J’aimerais fournir les disques originaux à mes fans et leur permettre de pouvoir les acheter sans problème. C’est mon combat d’aujourd’hui et celui de l’année 2012.
Pourquoi avoir choisi de baptiser votre nouvel opus « La nuit à Fébé » ?
D’abord, le nom Fébé est tiré d’une des sept collines de Yaoundé dénommé "Nkol Fébé". J’aimais me promener sur les collines de Yaoundé. Il se trouve qu’un jour, en me promenant très tôt le matin, et alors que je priais en marchant, en me disant que je suis partie il y a tellement longtemps que je ne suis plus sûre que l’on puisse m’accueillir dans mon village. Je souhaitais trouver un village où l’on puisse m’accueillir. Et pourquoi pas une montagne. Mais ce lieu n’était pas habité. Et alors que je cogitais, j’ai vu quelqu’un sortir de la montagne. C’était un natif d’une des sept montagnes que compte la ville de Yaoundé. Il m’a littéralement tenu par la main et m’a aidée à me constituer une cabane, mon lieu de résidence quand je suis à Yaoundé.
Je suis montée jusqu’au sommet de cette colline. J’ai transpiré, je m’y suis sentie bien. Et le reste est arrivé tout seul. J’y suis arrivée la première. Il n’y avait aucune habitation. A l’époque, j’avais juste mis des piquets et je suis restée là à méditer toute seule. J’étais accompagnée de mon manager, et depuis lors, je me suis évertuée pendant quelques années à faire des petits séjours à cet endroit appelé « Nkol Fébé ». Il n’y avait pas d’habitants sur cette colline située derrière l’hôtel Mont Fébé. Mais plus bas se trouvait un village qu’on appelle aujourd’hui « Fébé village ». Et aujourd’hui, l’endroit est habité. Mais toutes ces personnes sont arrivées après moi. C’est donc ce que j’ai vécue dans cette colline, cette aventure ou quête de soi-même. Ce retour aux sources, dans un cadre qui est mien, j’ai voulu le partager avec mes fans à travers mon nouvel opus.
Dans cet album, vous racontez cette histoire au rythme du « mendzang » (balafon traditionnel chez les Eton). Comment s’est passée la période d’initiation, quand on sait que vous n’avez jamais été en contact avec de vrais initiés de votre village ?
C’est vrai puisque je suis partie alors que je n’étais âgée que de 12 ans. Et donc, j’avais beau être le premier enfant, mais j’étais une fille. J’étais l’aînée d’une famille de deux enfants. On m’appelait « La cynique », et je portais bien ce surnom. Je baissais les yeux et écoutais. J’avais de belles oreilles pour écouter. Mais comme on me regardait beaucoup, je n’osais pas soutenir le regard des autres. Je n’ai donc pas pu apprendre les instruments, mais j’entendais tout. La gamme du balafon ne m’est donc pas étrangère. Je la connais depuis que je suis toute petite. Je me suis baptisée et fais ma première communion au rythme des « mendzang ». Et à l’époque, j’avais fait un parcours de sept kilomètres, de l’église à la maison. Durant ce parcours, j’ai passé mon temps à danser. Ces balafons qu’on jouait pour moi, et ses chants qu’on chantait, je ne répondais même jamais en choeur. Je me contentais de les écouter. Il était rare que je hausse la voix. Il se trouve qu’avec le voyage, le manque et autres, tout cela est revenu tout d’un coup comme une déchirure, une douleur. Et je me suis dis que j’avais tout cela à portée de main, et je ne les répondais pas.
Je dois avouer que je connais certains rythmes de chez moi. Je connais le « Nkul » puisque je m’asseyais toujours à côté de mon grand-père. Plus grave, mon père a voyagé à travers le monde, a été ambassadeur du Cameroun en France, en Egypte. Et aujourd’hui, il est rentré au village où nous sommes nés. Et donc ces choses là, je les ai gardées. Et une fois qu’elles ne faisaient plus partie de mon quotidien, j’ai travaillé à les faire revivre. Surtout que moi j’ai toujours été choyée par mon père. J’ai eu tout ce qu’un enfant peut avoir envie jusqu’à sa préadolescence. J’ai voulu me rappeler de ces moments que l’on passait en famille à se raconter de belles histoires. Et le fait de n’avoir jamais voulu perdre l’usage de ma langue paternelle ou maternelle a fait que ma fibre et mon discours artistiques sont restés très profonds. J’ai voyagé avec tout cela, et c’est ce qui a permis qu’aujourd’hui je puisse parler avec autant de convictions comme me parlait mon grand-père. Car j’ai conservé beaucoup de ces acquis linguistiques. C’est ce qui explique que je joue du balafon dans ce nouvel opus.
Vous chantez avec votre fils dans cet album. Est-ce une manière de le préparer à une carrière d’artiste ?
Un vieil adage dit que les chats ne font pas des chiens. J’ai chanté avec lui dans mon ventre. On me chassait de scène pour aller accoucher. Et on me chassait de l’hôpital pour aller sur la scène. C’est-à-dire que j’arrivais à l’hôpital et on me demandait si je n’avais pas autre chose à faire. Et je répondais que je dois jouer au Casino de Paris aujourd’hui. Et on me disait d’y aller. Peut-être que cela va le motiver à venir. J’ai fais tout ce qu’il fallait faire pendant que j’attendais mon fils. Mais il a mis du temps avant de venir au monde. Il est né avec un don : vous lui dites un mot, il en dit quatre de la même famille. Il parle comme un rappeur, un poète. Il a un sens des mots extraordinaire. Et l’histoire de « La nuit à Fébé » est son histoire. C’est lui qui la raconte telle qui l’a vécue. Je n’ai pas écris un texte. Mais je lui ai tout juste demandé tu te rappelles de la nuit à Fébé ? Il m’a répondu par l’affirmative. Je lui ai disposé un cadre et lui ai dis : « Fais comme ta maman ». Il avait 4 ans à l’époque. C’est ce qui fait que l’on ne reconnaisse presque pas sa voix. Il en a dix aujourd’hui. Même s’il n’a pas la même voix, il a le même esprit. Je n’attends pas de lui qu’il soit un artiste, parce qu’il m’a lui-même dit qu’il voulait être un chercheur anthropologue. Et d’ailleurs, il aime les fouilles et connaître l’origine des choses. C’est quelqu’un de très vif. Il fera ce qu’il veut de sa vie. C’est exactement ce que m’a dit mon père.
On constate que vous vous éloignez un peu du bikutsi chanté en langue traditionnelle. Puisque d’un album à l’autre, il tend à devenir moderne. Le fait de chanter en français ne vous éloignera-t-il pas du public camerounais ?
Non ! Je chante « Multiculti » en sept langues. J’étais une des premières artistes qui devait démontrer que nous n’étions pas un continent de musiques qui devaient rester sectaires (entre-nous). Et que, quand on dit comme les « Têtes brûlées » qui n’avaient fait que le bikutsi-rythme que j’ai défendu parce que c’est de celui là qu’on parle. Car lorsque que je partais du Cameroun à 12 ans je ne connaissais rien. J’écoutais Ekambi Brillant à la radio comme tout le monde. Ma racine, je me l’a suis inventée. De la même manière que je me suis inventé le français qui allait sonner comme la langue Eton. Et j’ai mis douze ans, si ce n’est plus, à peaufiner tout cela. A associer des mots avec du sens pour avoir de vraies histoires, que ce soit en français, anglais, arabe, portugais, etc. le tout pour démontrer aux autres que notre bikutsi est comparable au rock-and-roll. Il fallait démontrer qu’il est plus que populaire. Et si l’album « Tribu » donne le ton, le second album « Multiculti » se devait d’être l’ouverture. Ce 2ème album avait déjà été produit par Sony Music, les mêmes partenaires que j’ai aujourd’hui. Et pour la petite histoire, « La nuit à Fébé » et « Mémoire du monde » sont des productions de Sally Nyolo. Tout ce que j’ai de la musique aujourd’hui, c’est le bikutsi qui me l’a donné. Ce sont des histoires de femmes. C’est la façon qu’on vivait l’harmonie dans les villages. L’amour qu’on se partageait. Certaines personnes qui m’ont rencontrée m’ont demandé pourquoi j’ai écris le bikutsi en français. Je leur ai répond que ça fait 15 ans que je fais du bikutsi, bien que je ne sois pas une fille du village. Et donc, si je pouvais le chanter en allemand, japonais, chinois, etc., je le ferais pour démontrer qu’un rythme musical sorti du continent africain peut lui aussi supporter le monde.
C’est donc ce qui vous a permis de mettre pied « Témolo », un autre album au courant de cette même année 2011. Album par ailleurs chanté par une Japonaise ?
Justement, on n’en parle pas. C’est vrai que ce n’est pas moi qui ai sorti cet album de 12 titres. Mais il est à 100% chanté en Eton et par une Japonaise. « Témolo » signifie en français : « Ne vous posez pas de questions ». Elle ne s’en est d’ailleurs pas posée. Je l’ai prise par la main. Je lui ai demandé de me suivre et d’avoir confiance. De regarder cette terre rouge que je regarde. Je lui ai dis : « Respire. Tu as juste besoin de capter. Parce qu’après je t’emmène en studio respirer cela de l’autre côté ». Nous sommes venues passer une semaine au Cameroun. Et alors qu’un séisme se produisait dans son pays, elle était ici à apprendre à chanter l’Eton avec moi. Il fallait de temps en temps que je la soutienne et la console pour qu’elle ne s’écroule pas non plus. Elle a chanté avec le ton pour que les fans de bikutsi ne puissent pas s’imaginer, à l’écoute de cet album, qu’il est d’une Japonaise. Pour éviter que les gens ne se demandent « c’est qui ces gens qui veulent faire comme nous sans le pouvoir ? ». Comme nous avons pris le jazz, la musique classique, le blues, et que nous avons mélangé ces mélodies des balafons ; nous devons être capables aussi de leur donner la motivation nécessaire pour qu’ils interprètent nos rythmes. Qu’ils portent nos esprits, nos drapeaux et que l’on soit fier d’eux.
Entretien mené par Aristide Ekambi(Mutations)