vendredi 25 février 2011
Depuis le dernier trimestre de l’année 2010, des rumeurs de remaniements ministériels défraient la chronique, font la manchette des journaux. Avec des effets collatéraux qu’une telle éventualité entraîne dans le sérail. Comme les ministres de M. Biya savent que des rumeurs de remaniement “ découragent ” leur grand patron qui remet sa liste dans sa poche ou son tiroir, ils s’arrangent tous les trois ou six mois à alimenter les médias, souvent avec une liste d’éventuels promus, de “ bottés ”, de rescapés. Question de gagner du temps.
Ces canulars sont souvent diffusés quand M. Biya revient de ses vacances ou “ séjours privés ” plus ou moins longs en Europe. On en parle davantage ces jours-ci avec la présence, paraît-il, au Cameroun de l’ancien ministre français de la coopération, puis ancien président du Médef, l’ex officier de gendarmerie Michel Roussin. Certains confrères avancent même l’hypothèse selon laquelle il est venu retoucher la liste que Paul Biya aurait récemment ramenée de France.
Sans douter de la source de nos confrères, j’éprouve un réel malaise à lire ou à écouter ce genre “ d’informations ” qui nous enfoncent davantage dans les profondeurs obscures du néo-colonialisme. Elles confirment quelle qu’en soit la source que nous nous complaisons aussi dans une posture “ d’administrés ” d’une “ sous-préfecture ” française dont Paul Biya serait le “ chef de terre ”. Ainsi donc, la nomination des chefs de blocs doit passer par Paris. Certes, il nous souvient que la première constitution du Cameroun a été dictée par un gendarme à un constitutionnaliste français de renom. Pour des raisons de stabilité de la situation politique d’alors. L’histoire se répète-t-elle ?
Plus de 50 ans après, nous continuons d’assumer cet esclavagisme des temps modernes décrié de plus en plus jusque dans les départements et les territoires français d’Outre-mer. De quoi donner du toupet au plus illustre “ immigré choisi ” de France, le Hongrois Nicolas Sarkozy, qui a poussé le bouchon au point de donner 24 heures à Laurent Gbagbo pour se démettre du pouvoir en Côte d’Ivoire. Ce que M. De Gaulle, président de la République française n’a pas osé demandé à Sékou Touré en Guinée, en 1958, après le non historique de ce dernier. Si nous ne défendons pas bec et ongles notre indépendance, qui le fera avec autant de vigueur et de patriotisme que nous ? Si d’aventure, M. Biya ou tout autre chef d’Etat camerounais se mettait encore sous la botte de la France, c’est à nous de dire que ça suffit. Au lieu de relayer des insanités aussi anachroniques.
Pays de cocagne ou caverne d’Ali Baba ?
L’an dernier, le trésorier-payeur général de Douala, a été arrêté et jeté en taule. Il est accusé, avec quelques “ complices ” parmi ses collaborateurs d’avoir détourné quelques milliards de franc cfa. Ils sont en détention préventive à la maison d’arrêt de New-Bell. Il y a quelques jours son remplaçant a été lui aussi interpellé, avec son caissier principal. Ils sont soupçonnés d’avoir distrait, à leur tour, 2.8 milliards de nos francs. La dernière affaire de détournement à la trésorerie de Douala serait partie d’une banque de la place. Un employé qui a du flair et très vigilant aurait découvert dans le compte d’un particulier la rondelette somme de …trois cent millions de nos francs. Il ne s’agit ni d’une entreprise, ni d’un client qui brasse d’importantes affaires. Alors trop gros pour être une petite affaire. Ainsi serait découvert le petit pot aux roses derrière lequel se cachait une affaire lourde de plus de deux milliards de francs.
Cette nouvelle affaire de milliards à la trésorerie de Douala étonne, quoiqu’on dise. Surtout parce qu’elle arrive au moment où une précédente affaire de même genre est encore en instruction judiciaire. Décidément, il y a à manger et à boire dans cette trésorerie et les fonctionnaires qu’on y envoie n’y vont pas avec le dos de la cuillère. Ils se servent à satiété, advienne que pourra. Ce que le commun des mortels a du mal à comprendre, c’est la facilité avec laquelle on peut détourner des milliards dans ce pays sans avoir peur. Tous les jours le trésor public est spolié et l’Etat ne semble prendre aucune disposition pour sécuriser ses fonds ou décourager les éventuels détourneurs. Aux grands maux les grands remèdes, dit-on. On ne saurait, au nom de leur appartenance à la fonction publique ou à l’administration fiscale, laisser des individus sans foi ni loi, piller sans vergogne l’argent public.
Sous d’autres cieux, il s’agit ni plus ni moins de crimes économiques. Leurs auteurs sont punis avec toute la rigueur de la loi. Dans les années soixante, la fameuse loi Onana Awana, ministre des finances de l’époque dissuadait les velléités de détournement de fonds. Les coupables allaient en prison pour vingt ans au moins. Dans les années 70, la panoplie des lois Achidi Achu, ministre de la justice d’alors avait mis un terme au grand banditisme. Avec l’exécution publique de la bande à Ebanda et Siwak, les voleurs de coffres-forts. Il faut dire comme le politologue Guy Parfait Songuè que “ le laxisme et l’impunité ostentatoires, étalés sur plus de 20 ans, ont fini par friser la moquerie ”… “ Quand ajouté à cela, vous avez une “ opération épervier ” qui souffre d’infirmités multiples, on n’est pas sorti de l’auberge ”.
Il est de notoriété publique qu’au Cameroun, les fonctionnaires rivalisent de richesses avec les chevaliers de l’industrie. Certains commis de l’Etat sont même plus riches que les opérateurs économiques de premier plan. Surtout que les fortunes de ces flibustiers échappent au fisc et à tout autre contrôle. C’est eux qui ont attiré au Cameroun le label de pays le plus corrompu du monde. Ce sont eux qui ont fait du Cameroun un mauvais risque. Et tout se passe comme si la plus haute autorité du pays n’est pas au courant. D’aucuns ont compris qu’ils peuvent se permettre tout sauf lorgner le fauteuil présidentiel.
Ainsi le Cameroun est l’un des rares pays au monde où des fonctionnaires ont des fortunes à côté desquelles les budgets de certaines institutions à l’instar des communes ne sont que broutilles. A titre d’exemple au moment où l’on découvre que le compte bancaire d’un fonctionnaire du trésor a trois cents millions de francs, le budget de la commune de Ngambè au cours de l’exercice 2011 se chiffre à moins de …300 millions. Pendant que d’aucuns tirent le diable par le queue tous les jours pour survivre, le Cameroun est pour une minorité, un pays de cocagne pour ne pas dire la caverne d’Ali Baba.
Par Jacques Doo Bell(Le Messager)