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Richard Touna Ombe : Le journaliste acharné au cœur du vide

vendredi 30 janvier 2009

Il emporte, dans l’au-delà, une expression de bonté infinie et tragique, qui fait de lui le héros parfait


La disparition brutale de Richard Touna Ombe, le 22 janvier dernier, est l’ultime scandale de société auquel la communauté des journalistes du Cameroun se trouve confrontée, sans s’y être préparée le moindre du monde, dans le type de lâcheté primitive que seule sait répandre la sournoiserie de la mort. Jamais, en effet, il aurait été imaginable que cet homme, grand et massif comme un charpentier, au visage à la fois adulte et juvénile, dissimulait derrière ses lunettes épaisses et son caractère semi joyeux et semi lunatique, cette sorte fragilité sourde, cette terreur redoutable et indicible qui fait résonner l’oraison de la finitude jusqu’à l’extrémité des os.

On est presque tenté de lui en vouloir pour cela : de nous avoir fait croire qu’on pouvait l’aimer pour longtemps encore, parfaitement rassurés à l’illusion de sa propre permanence dans l’espace, comme si la hauteur de sa vue sur le monde était aussi celle de son éloignement de tout ce qui nous abîme. On peut rarement imaginer stupéfaction plus forte que celle-là : on en reste encore incrédules, sans mot, médusés. A se demander comment et pourquoi il peut être arrivé à lui, à lui et pas à quelqu’un d’autre, d’être parti de cette façon, maintenant, en donnant si peu d’avertissements de sa marche vers le désastre.

Le lendemain de cette nouvelle laisse l’imagination à quelques errances métaphysiques : où se trouve l’âme du défunt au moment où l’on porte son abri sous le poids de la terre ? Que pense-t-il de tout ce qui s’est passé ? Comment entrevoit-il son avenir à cette autre frontière de la vie ? A quoi s’est-il occupé depuis ? Croit-il en la possibilité de la réincarnation ? Le paradis a-t-il la couleur que les optimistes lui décrivent ? Des questions existentielles qui construisent toute notre incompréhension - et notre inacceptation - de ce que cette part de notre horizon nous promet. Richard explore ainsi la frontière avant beaucoup mais après quelques autres.

Vivants et morts unis par le principe de l’intangibilité des frontières, par le culte d’un secret qui veut que personne n’en sache jamais assez sur les autres, que personne ne puisse agir efficacement sur l’autre monde. Sans doute une exigence déontologique bâtie sur un pacte probablement garanti par Dieu seul. Richard y croyait beaucoup, s’enthousiasmait de la fréquentation des cénacles et des prêtres, estimait avec sincérité qu’il est préférable d’y placer une part de ses intérêts.

Sauf que, à cet ultime moment aussi, à cet instant où, précisément, on implore ce Créateur de toutes nos forces, on entend bruisser le vertige du silence. L’instant fatidique du refroidissement de son corps et de la cessation de sa respiration, où l’on rentre dans un immense couloir diaphane et mystérieux, et que l’on rencontre des formes humaines extrêmement imprécises, qui parlent avec des voix fluettes et des gestes impossibles à traduire.
Probablement, Richard a-t-il, à ce jour, été reconnu par quelques anges et bien de saints et que, auréolé de cette célébrité qui le précède, il leur en a raconté quelques unes sur sa personne et sur son métier, Journaliste par-delà les contraintes, qui a écrit l’amour de ce métier avec la vigueur de celui qui s’abandonne aux élans fiévreux d’une première passion d’adolescence. Richard Touna, journaliste à l’intersection des époques, des générations et des styles, qui a su - et parfois pas su - choisir dans chaque territoire, pour savoir comment se faire une identité composite.

La route du succès lui a ainsi été ouverte par d’assez longues avaries : échec répété au concours d’entrée à l’Esstic, difficulté à devenir un " journaliste normal ". Apprentissage, dès lors, "sur le tas ". La force tout de même, l’endurance, la pétulance aussi. On le retrouve à la Fm 94, à une période où il a pour modèle François Marc Modzom dont il essaie d’imiter à la fois le timbre vocal et le rythme de lecture à la radio. Il se retrouvera également des toutes premières équipes qui accompagnent le très prometteur hebdomadaire Génération de Vianney Ombe Ndzana, aux côté des Alain Blaise Batongué, Emmanuel Gustave Samnick, Jean Robert Onana ou Melvin Akam. Il résiste un peu plus longtemps que ses aînés au fonctionnement pittoresque du journal, mais finit aussi par craquer et quitter le navire Génération, qui coulera quelques mois plus tard.

Le Messager se trouve être une destination honorable. Il y passe parmi ses plus belles années, est fait rédacteur en chef adjoint, prend du volume dans les habitudes de lecture ambiantes, va se former en France et revient, bourré de toutes sortes d’ambitions. Mais " le Cameroun a ses réalités ", lui apprend-on. Il faut donc apprendre à se contenir, à faire le minimum, ne pas aller au-delà des limites que l’on vous prescrit.
Ses rapports avec Pius Njawe se tendent : démission. Quelques mois de flottement, comme ça, sans rien. Du moins en apparence. Parce que le nouveau projet éditorial est déjà bien ficelé. Repères naîtra en janvier 2007, comme une formulation explicite de sa capacité autonome à prendre la mesure de son destin. Le journal est un hebdomadaire d’informations générales, il se veut posé sur bien d’audaces de forme et de fond ; ce sera la source de bien de malentendus.

Car Richard, en voulant à tout prix échapper aux modes et aux convenances de son environnement, finit par succomber à l’absurde des choix qui se font au détriment de tout. Il arrive dans les tabloïds, au moment où les magazines - Ici les gens du Cameroun, Situations - ouvrent de nouveaux champs de croissance dans la presse camerounaise ; il s’entreprend dans un hebdomadaire au moment où les quotidiens sont la nouvelle référence du marché ; il prend la couleur au moment où les coûts d’impression grimpent en flèche en interdisent ce type de cosmétique - et que très peu de publications locales s’y risquent ; il paraît mercredi alors que le gros des acheteurs de la presse lisent en début de semaine ; il s’intéresse excessivement au fait institutionnel au moment où une telle information est l’objet d’un désintérêt croissant.

Incarnation

Et pourtant, pendant que certains le soupçonnent, dans un océan camerounais de délation et de ragots, de coaliser avec des élites politiques déclinantes au moment même où celles-ci sont à la veille du naufrage carcéral le plus stupéfiant, il finira en si peu de temps à imposer le label Repères (excellente photo en couleur à la une, informations de qualité au cœur du pouvoir. Au point de devenir, par la pratique un " faux quotidien " paraissant une fois par semaine, livrant ainsi de nombreux scoop devant les " vrais " quotidiens, l’un des derniers étant l’annonce " exclusive " de la décision du chef de l’Etat d’admettre à l’école normale supérieure de Maroua tous les candidats originaires du Grand nord ayant postulé…

Ceci explique sans doute cela, mais une annonce parue il y a seulement quelques semaines dans son journal repères est peut-être passée inaperçue : en moins de 18 mois d’existence, le journal a postulé pour un financement du Fonds d’appui à la presse francophone du Sud qui, dans sa session d’octobre dernier, a accepté de financer le développement de cette entreprise de presse à la hauteur demandé, un peu plus de 16 millions Cfa. " L’un des rares dossiers, depuis quatre ans de pratique, à être passé sans qu’on ne réduise la dimension du projet, et où les experts ont loué, à l’unanimité, la clarté des documents et la qualité des exemplaires témoins, indiquant que ce journal avait de l’avenir ", se souvient l’un des experts, encore ému par l’annonce brutale de sa disparition.

C’est dire que Richard incarne parfaitement la totalité des figures et des aspirations professionnelles et humaines auxquelles les contradictions du temps qui passe soumettent les gens qui restent. Par son visage singulier, il représente le prolongement, dans l’au-delà, d’une expression de bonté indéterminée qui lègue aux nouvelles générations, les formes les plus envisageables d’explorations et même d’extrapolations. Ainsi, il accomplit et épuise la tragédie du parfait héros. Ses idées, ses projets, ses amitiés, ses convictions sont encore, à cet égard, parfaitement implantés sous nos yeux, comme des souches.
D’aussi invisible qu’il peut être en ce moment, son esprit apparaît désormais avec la clarté parfaite de celui qui a construit son itinéraire sur la rigueur d’avoir beaucoup désiré. Le souvenir de lui est, dès lors, à la fois plein et dépouillé ; son personnage s’affichant comme une humanité aussi bien large qu’extrême, qui marche avec précision et sans jactance sur la corde raide de la clairvoyance et de la pudeur, pour reproduire les convulsions qui nous parfument de fraîcheur et de naïveté, dans l’antichambre du cynisme.

Car, aucune voix n’est plus nue que celle de Richard. On se dit alors : ce n’est pas un écho d’homme, mais le retentissement vibrionnant d’une personne à l’humanité parfaite, décisive. L’anatomie de ses mots, que l’on entend encore d’ici, est une épreuve de dissection mentale : on se promène dans le vocabulaire d’un érudit, écoute les événements qu’il narre avec un goût consommé du rebondissement et de la provocation. Il excelle à rapporter des épisodes grotesques et fanfarons, dans une langue fantastique et parfois fantasque, qui s’anime de la précision et du pittoresque, pour faire de ses récits des cavales émotionnelles que l’on écoute les nerfs à vif, sans précipitation, avec une élégance et un raffinement dignes d’un embrasement littéraire à la Garcia Marquès.

Richard s’en va ainsi en transcrivant jusqu’au bout, la profonde lucidité d’un homme qui était, avant toute chose, conscient de sa faiblesse : cet étalement à l’horizontale qui est, de façon imparable, notre détresse et notre salut, lui avait donné la certitude effrénée qu’il fallait penser à la vie d’après. De cette foi qui était donc perçante comme une flamme dans le noir, ne nous restera alors pour demain, que l’éclat du souvenir et du dévouement, que chacun voudra garder à l’égard de son épouse et de ses enfants. Toute la force de la mort est justement d’afficher la vie telle qu’elle est : si faible et si dérisoire.
Mais toute l’atrocité de cet instant est aussi de donner à croire à ceux qui n’y sont pas encore que tout cela ne concerne que l’infortuné du moment. Ils viennent alors à cette rencontre comme à une célébration mondaine, et affichent toute la perversité d’une époque où l’on se réjouit de tout et d’abord de la souffrance des autres. Richard aura évidemment les yeux pour voir - même sans lunettes - ceux qui lui mentent et ceux qui le trahissent. Son ombre voltigera à travers les âges, pour revenir un jour prendre place à la source même du vide qu’il laisse : le seul espace qui puisse être occupé par Richard Touna Ombe.

Par Serge Alain Godong(journaliste)

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