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Raoul SUMO : « Avec le Nigeria, les choses ne sont pas toujours simples »

mardi 28 janvier 2014


Le chercheur au Centre d’études stratégique et des innovations (Cesi) analyse les contours de la visite annoncée à Yaoundé, du président de la République du Nigeria.


Quel sens donnez-vous à la visite annoncée de Goodluck Jonathan à Yaoundé ?

La visite du Président nigérian, Goodluck Jonathan s’inscrit dans le cadre du renouveau des relations entre le Cameroun et le Nigeria depuis le 14 août 2013. En effet, ce jour-là la période spéciale transitoire camerounaise de 5 ans s’est achevée et le Cameroun a recouvré sa pleine et entière souveraineté sur la péninsule de Bakassi, occupé en décembre 1993 par le Nigeria. Cette visite traduit également la volonté des deux pays de développer des relations de confiance dans tous les domaines d’intérêt commun. On ne peut pas ignorer qu’elle fait suite aux incidents de la semaine dernière au niveau d’Amchide et Limani. Après ce qui ressemble étrangement à une violation de l’intégrité du territoire camerounais, il est normal que le président Jonathan fasse le déplacement de Yaoundé. Il est également normal enfin que les chefs d’Etat voisins se rencontrent pour dépasser le dispositif routinier des commissions mixtes pour gérer des situations de crise et donc exceptionnelles.

Comment comprendre que ce soit le président du grand et puissant Nigeria qui fasse le déplacement, alors qu’il était déjà ici en juin dernier ?

Le Nigeria a toujours été très offensif sur le plan diplomatique. Le président Goodluck Jonathan voyage beaucoup à l’étranger quand il s’agit de défendre les intérêts du Nigeria. Bien sûr, le Cameroun a beaucoup à gagner mais on a l’impression que notre pays traîne le pas et ne capitalise pas suffisamment les opportunités offertes par la proximité avec ce grand voisin. De même, le Nigeria est très affecté par ces menaces nouvelles. Les attaques des plateformes pétrolières par exemple font chuter sa production annuelle de 30 à 40 % selon des estimations de l’Aiea, générant ainsi des pertes annuelles de l’ordre de 10 milliards de dollars US. Le Cameroun, à tort ou à raison, a de nombreuses fois été accusé d’être une base arrière de Boko Haram. Le président Jonathan ne ménage donc aucun effort dans sa lutte contre cette secte islamiste. Bien plus, la conception gérontocratique des relations internationales africaines ne peut expliquer cet état des choses.

Qu’est-ce que les deux pays tirent de cette rencontre ?

Bien entendu, les deux chefs d’Etat vont se féliciter de l’aboutissement heureux de l’Affaire de la frontière terrestre et maritime entre leurs deux pays et évoquer l’avenir de la péninsule de Bakassi. Les présidents Biya et Jonathan vont sans aucun doute parler des menaces nouvelles qui affectent leurs deux pays, à savoir, la piraterie maritime et Boko Haram. La mondialisation, en créant de nouvelles interdépendances, vecteurs de nouvelles menaces, a rendu inopératoire le concept d’intérieur et d’extérieur et créé un nouveau paradigme, celui de la menace. Ces figures de la postmodernité constituent un souci commun aux deux Etats. Le Cameroun fait face à une criminalité internationale, à l’intégrisme et au fondamentalisme religieux organisé à partir du Nigeria et ayant pour base de repli ce grand voisin. Les deux chefs d’Etat vont sans doute évoquer la question des échanges de renseignements dans la lutte contre la piraterie maritime dans le Golfe de Guinée et les prises d’otages dans le Nord-Cameroun. Sans aucun doute, ils aborderont la question du droit de poursuite.

Les deux chefs d’Etat ne manqueront pas d’évoquer le sort de la forte colonie nigériane de Bakassi. A l’occasion de toutes les rencontres bilatérales entre les deux pays, les officiels nigérians insistent sur la garantie de protection des populations nigérianes de la péninsule de Bakassi. De plus, le président Goodluck Jonathan ne manquera pas de plaider, une fois de plus, en faveur de la réduction des frais du titre de séjour pour les Nigérians, qui avaient été réévalués en 1994 pour coûter 276 750FCFA., ou l’octroi du statut de « citoyens associés » pour ses compatriotes qui vivaient au Cameroun avant 1960. Il me semble que malgré la fin de la période transitoire en aout 2013, le Cameroun continue à pratiquer une tolérance administrative vis-à-vis des Nigérians vivant à Bakassi. Bien entendu, les deux chefs d’Etat ne manqueront pas d’évoquer les questions économiques et les questions internationales, notamment la RCA et les ambitions de puissance du Tchad.

Qu’en est-il du droit de poursuite et des patrouilles mixtes ?

Des institutions sérieuses comme l’Icg [International crisis group, Ndlr], dans son rapport du 12 décembre 2012, ont préconisé l’organisation par le Cameroun et le Nigeria de patrouilles conjointes. De même, des personnalités comme l’ancien Premier ministre français, Dominique de Villepin, ont noté que le système des menaces nouvelles ne connaît aujourd’hui qu’une seule loi : celle de l’interdépendance. Il va donc sans dire que la mutualisation des forces va sans doute donner le coup de grâce à la piraterie maritime. L’accord entre le Cameroun, le Gabon, la Guinée équatoriale et Sao Tome et Principe qui permet les patrouilles mixtes dans la zone D du Golfe de Guinée peut servir d’exemple et de référence. Comparé à ses voisins qui la plupart ont de faibles capacités navales, le Nigeria est un mastodonte des mers. Ce pays dispose, pour la sécurisation de son espace maritime, de 2 remorqueurs de 310 tonnes, 3 combattantes III B de 430 tonnes chacune, 3 Lurssen 57 de 444 tonnes chacune, d’une quinzaine de vedettes defender, d’une frégate de type Meko de 3 400 tonnes, d’un bateau amphibie de 1860 tonnes. Le vice-amiral Ishaya Ibrahim, chef d’état-major de la marine nigériane annonçait il y a peu que son pays envisageait acheter 59 nouveaux vaisseaux dont une force sous-marine et 42 hélicoptères. Le Cameroun devrait, a priori avoir tout à gagner dans la mutualisation des efforts avec le Nigeria pour la lutte contre la piraterie maritime. Le succès des unités opérationnelles en charge de la lutte contre ces menaces en provenance du Nigeria est tributaire du renseignement sur ces forces et sources d’opposition. Cette coopération en matière de renseignement est nécessaire autant dans la péninsule de Bakassi qu’à l’Extrême-Nord où les menaces sont infiltrées, se dissimulent au sein des populations et mettent à profit leur maîtrise de la zone concernée.

Le Cameroun est-il prêt à concéder cela ?

Le Nigeria a toujours proposé l’institution de patrouilles mixtes, ce à quoi le Cameroun s’est toujours opposé. Car avec le Nigeria, les choses ne sont pas toujours aussi simples. Le Nigeria fait peur. Ses voisins redoutent généralement sa volonté d’hégémonie. Le Cameroun a fait sienne la conception terrienne du gouvernement politique, forgée à partir du Léviathan de Hobbes qui assimile la souveraineté d’un Etat au monopole de la violence légitime sur son territoire. Bien plus, le dépouillement de certaines archives diplomatiques nous ont fait comprendre que le Nigeria ne demandait pas les patrouilles mixtes pour des besoins de sécurité. Il s’agissait d’un procédé bien judicieux pour continuer à avoir un œil sur ses populations dans la péninsule de Bakassi, de leur assurer sa protection contre des exactions supposées ou réelles de gendarmes camerounais. Dans cette perspective, il nous semble que l’institution des patrouilles mixtes causerait plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait. De plus, la Joint Task Force chargée de la lutte contre la piraterie s’est illustrée par la brutalité de ses hommes, la corruption et la collusion de certains de ses cadres avec certains groupes de pirates. Entre les deux pays, les approches en la matière sont fondamentalement opposées : historiquement, comme le relève un expert de questions de sécurité transnationales, le Cameroun a toujours adopté une démarche conciliatrice mêlant négociations directes, un traitement préférentiel de surveillance et la réglementation stricte des affaires islamiques.


Faut-il donc refuser cette main-tendue ?

Même si nous ne sommes pas nous-mêmes des va-t-en-guerre, nous savons que suivant l’analyse corrélationnelle élaborée par David Singer dans son ouvrage Nations at War, « les Etats qui ont des frontières communes ont plus de chance que les autres de se faire la guerre ; les Etats connaissant des désordres intérieurs recourent souvent à la guerre ». Il est donc indispensable que les autorités civiles et militaires camerounaises adoptent une planification stratégique fondée sur une grille de scénarios et élaborent un plan directeur de l’avenir des relations avec le Nigéria fiables et dynamiques. Hier, la France était le garde-frontière du Cameroun face à son puissant voisin. Avec la révision des accords de défense, le Cameroun, comme la plupart des pays d’Afrique francophone se retrouve confrontés à d’importants défis en matière de défense. Il nous faut dès lors définir de nouvelles stratégies pour assurer la sécurité de l’Etat et de ses citoyens.

Propos recueillis par Rodrigue N.T(Le Messager)

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