mercredi 14 septembre 2011
Le Cameroun est l’un des rares pays au monde où les martyrs et autres héros ne sont pas honorés annuellement au cours d’une journée précise. Pour palier ce manquement criard, à l’initiative de Celestin Bedzigui par ailleurs Chairman de Democratic global project, une ong basée aux Etats-Unis et orientée vers la promotion des droits politiques dans les pays d’Afrique, un groupe de Camerounais issus de divers milieux de la société et réunis au sein du "Comité du 13 septembre", vient de décider de la proclamation de ce jour, 13 septembre - jour de l’assassinat du Mpodol Ruben Um Nyobé -, « Journée nationale des martyrs et héros du Cameroun ». Pour permettre à ses lecteurs d’avoir les tenants et les aboutissants de cette proclamation dont l’inauguration a lieu aujourd’hui, Le Messager s’est, par le biais d’Internet, entretenu avec le secrétaire exécutif de ce "Comité du 13 septembre". Professeur agrégé de philosophie, docteur l’Université de Lille 3 et enseignant de philosophie dans l’academie de Rouen en France, le secrétaire exécutif du « Comité du 13 septembre » explique avec force et détails les motivations de ce groupe dont il est l’une des têtes de proue.
Quel sens accordez-vous à la proclamation du 13 septembre comme « Journée nationale des martyrs et héros du Cameroun » ?
Jour de souffrance nationale, jour de souvenir, jour d’espoir. Le jour où le Mpodol Ruben Um Nyobé - assassiné par l’armée coloniale française et ses supplétifs africains - quitta ce monde, porte le cachet emblématique de tous les lâches crimes subis par le peuple camerounais. On ne peut passer par pertes et profits chaque année, les vies camerounaises happées par les crimes économiques, politiques et socioculturels de l’incurie qui administre violemment le Cameroun depuis les indépendances. Le mépris de la vie et l’écrasement de la dignité humaine ont atteint et dépassé le seuil de l’intolérable. Nous ne survivrons pas à la contamination ambiante de la connivence criminelle qui enserre les esprits dans une léthargie de poids abyssal, si nous ne réarmons pas moralement et spirituellement la société camerounaise. La saignée doit être stoppée, ou alors notre société produira des monstres encore plus terrifiants que les régimes despotiques postcoloniaux de Paul Biya et Ahmadou Ahidjo, héritiers directs du système colonial. Pour relever la tête de ce pays et lui donner la force de se projeter de façon créative dans la modernité, il faut l’enraciner davantage dans la conscience de ses tragédies et la mesure de ses tâches actuelles de lutte contre la misère, contre la violence et la corruption des institutions injustes, contre l’absence de pensée qui devient marque de fabrique en un monde pourtant traversé par de profondes mutations démographiques, écologiques, socioéconomiques, stratégiques et politiques.
En quoi cette proclamation n’est-elle pas une simple bravade de plus envers le pouvoir ?
Le pouvoir s’est gravement déconsidéré tout seul au Cameroun. Lisez leurs révélations de génocidaires en préparation sur Wikileaks, et vous comprendrez quels froids sanguinaires nous avons à la tête de ce pays ! Maurice Halbwachs, célèbre sociologue français, étudiant les cadres sociaux de la mémoire collective, fit remarquer à juste titre que la mémoire d’un peuple porte toujours en réserve les traumatismes qu’on lui a fait subir. Et quoi qu’on fasse croire à ce peuple, il ne redevient lui-même qu’en assumant cette mémoire comme source de refondation et de réinvention de soi. Telle est la situation du peuple camerounais. S’il tourne en rond, s’il semble faire du sur-place, c’est parce qu’il veut redevenir lui-même pour s’élancer de toute sa spontanéité créatrice vers l’avenir. Comme l’athlète avant le saut, le peuple camerounais a besoin de piliers pour s’arc-bouter et bondir par devers l’ère dictatoriale qui perdure. Le peuple camerounais porte en lui, comme la cathédrale jamais construite, de son avenir. Il a encore beaucoup à montrer à l’Histoire.
Que voyez-vous donc venir à l’horizon du Cameroun ?
Un peuple organisé en synergies bien pensées, originales et déterminées finit par faire valoir ses droits. La proclamation de cette Journée instaure un radical devoir de mémoire et met en garde les fossoyeurs de la valeur humaine au Cameroun contre l’inéluctable jugement de l’Histoire et des tribunaux imminents de la démocratie camerounaise. La convergence des intuitions de Camerounais de toutes les origines vers cette proclamation n’est pas le fait d’un simple volontarisme. C’est aussi la conjugaison des forces cachées de la mémoire qui travaillent notre peuple. Cette proclamation fixe la ligne de démarcation entre bourreaux et victimes, contre toutes les tentations révisionnistes et négationnistes en cours. Cette proclamation redonne l’initiative de sa mémoire au peuple camerounais qui s’habillera en blanc, ou en rouge et noir tous les 13 septembre futurs, en souvenir des jours infâmes que les criminels qui tiennent le pays en otage lui auront infligé. Il s’agit en fait, au final, d’instaurer un rituel républicain nouveau, en vue de la République réellement démocratique à laquelle le dédain des Camerounais pour les élections-bidons du Renouveau, nous invite à travailler d’arrache-pied. Par la suite, ce travail intellectuel et la créativité symbolique qu’il stimule de mémoire devront révolutionner l’architecture publique nationale, les institutions républicaines, les ordres de la chancellerie par exemple, bref les repères spatio-temporels et spirituels des générations naissantes.
Peut-on considérer le devoir de mémoire comme l’urgence de notre temps alors que les Camerounais sont d’abord confrontés à des problèmes concrets comme l’emploi, le logement, l’éducation, la nutrition, la santé, etc.
Aucun des problèmes concrets que vous soulevez ne trouvera justement de réponse tant que le Cameroun ne sera pas gouverné par une majorité politique et des institutions représentatives de la souveraineté du peuple, élues, contrôlées et sanctionnables par le peuple dans le cadre d’une réelle tradition démocratique d’alternance et d’alternative politiques. Nous œuvrons à bâtir un cadre où les problèmes réels des Camerounais seront l’objet réel de l’action politique des gouvernants. Si en 30 ans de pouvoir, le régime de Paul Biya n’est toujours pas parvenu à vaincre sa propre corruption, à respecter les droits humains, à se soumettre aux mécanismes impartiaux de véritables consultations électorales, à développer le pays pour combattre efficacement la misère et l’hostilité de la nature, c’est bien parce que ce régime est déconnecté de ce qui constitue l’axe de la mémoire camerounaise profonde. Dans de telles conditions, la société civile, en réseau avec des forces saines de l’opposition politique, doit à la fois proposer une stratégie d’alternance et une alternative crédible aux plans foireux et machiavéliques du régime en place. Cela passe aussi par la création de nouveaux cadres symboliques d’auto-perception des citoyens. Cette Journée nationale des martyrs et héros du 13 septembre, participe de cette vision recréatrice du rapport de la citoyenneté camerounaise à l’histoire réelle. Elle prépare les esprits aux changements salvateurs que le peuple camerounais organisé inscrira bientôt dans le marbre de ses institutions les plus chères.
Comment cette initiative sera-t-elle suivie ?
Par un organe de gestion qui est le secrétariat permanent du ‘’Comité du 13 Septembre’’ et un Organe d’orientation qui est le Free Kameroon foundation (Fkf).
Premièrement, les taches du secrétariat permanent du ‘’Comité du 13 Septembre, Célébration de la Journée des martyrs et héros nationaux’’ (Cocemas), seront les suivantes :
– La promotion institutionnelle et la consécration de la Journée au Cameroun et dans le monde, à travers les médias et les réseaux d’éducation populaire ;
– La préparation, la réalisation et la consolidation des célébrations annuelles de la Journée au Cameroun et dans le monde : conférences publiques, meetings populaires, festivités, œuvres culturelles de toutes sortes ;
– Le sponsoring et le parrainage des travaux scientifiques sur la mémoire des martyrs du Cameroun, au sein des réseaux universitaires nationaux et internationaux.
Le secrétariat permanent du « Comité du 13 Septembre » a comme secrétaire exécutif votre serviteur, le Professeur Franklin Nyamsi à Paris, et comme membres les citoyens Agnès Taile à New York, Kenneth Ndeh à Washington, Rouffaou Oumarou à Bruxelles, Cyrille Ekwalla à Montréal, Serge Banyoguem à Washington, Venant Mboua à Montréal, Marcel Sime à Washington, Emmanuel Fonkwa au Cameroun.
Deuxièmement, par le canal du Secrétaire exécutif, l’orientation des activités du « Comité du 13 Septembre » est assurée par Free Kameroon foundation (Fkf) ou Fondation du Cameroun libre, établie et animée par les citoyens Franklin Nyamsi, Dominique Djeukam Tchameni, Célestin Bedzigui et moi-même il y a déjà quelques années. Fkf est un think tank et une structure de réarmement civique, d’appui et de suivi des initiatives comme celle de ce "Comité du 13 septembre", jusqu’à ce qu’elles aient un fonctionnement autonome et efficace.
Entretien via Internet (Skype)avec Honoré FOIMOUKOM
aux Etats-Unis(Le Messager)