lundi 31 octobre 2011
La gouvernance démocratique est comme une requête en justice : pour être authentique et juste, elle doit être « recevable en la forme et au fond ». Le processus électoral est une donnée fondamentale incontournable de la gouvernance démocratique. Sa recevabilité en la forme et dans le fond doit être attestée par un Code électoral, qui fixe les modalités d’une élection et des conditions d’éligibilité suffisamment justes et claires pour que le suffrage soit universel (accessible à tous les électeurs potentiels et qualifiés), et que les opérations de vote soient transparentes. On appelle cela « les règles du jeu », règles sans lesquelles dans n’importe quel jeu, et a fortiori le jeu électoral, toute partie devient une jungle où, comme on le sait, la loi du plus fort (la meilleure dans le règne des animaux), prime sur la force inexistante ou fragilisée de la loi.
Une élection organisée dans les conditions non respectueuses des règles établies du jeu, quel qu’en soient les résultats statistiques et leurs conséquences politiques, ne peut avoir de démocratique que la caricature. On parle alors d’un « faire semblant électoral » qui apparaît en fin de compte comme n’ayant servi qu’à confirmer un résultat préétabli. Et si ce n’était pas le cas, pourquoi la Cour suprême (qui siège en lieu place du Conseil constitutionnel depuis 15 ans sans raison connue des citoyens) affirmerait-elle aussi péremptoirement que les irrégularités et fraudes relevées au cours de l’élection présidentielle du 9 octobre 2011 ne sont pas de nature à en influencer le résultat ?
Le seul fait de reconnaître qu’il y a eu des irrégularités - les mêmes d’ailleurs depuis 20 ans (1992/2011) - et des fraudes diverses dont personne ne nie l’ampleur, ne suffit-il pas à décrédibiliser le scrutin et à en délégitimer le vainqueur ? L’hypothèse contraire signifierait que dans le système « démocratique » camerounais, seul le résultat compte dans une élection, quels que soient les moyens d’y parvenir.
Voilà pourquoi l’élection présidentielle dont M. Biya vient d’être proclamé vainqueur ressemble à un match de football dont la victoire reviendrait naturellement à l’équipe locale ayant évolué sur « son » terrain, et bénéficié d’un soutien inconditionnel de l’arbitre et de tous les officiels de la partie.
Que la chambre d’homologation entérine ensuite cette « victoire », sans possibilité de recours pour le vaincu ne change rien à l’injustice du résultat, ni à l’illégitimité du vainqueur. Mais, comme on dit dans mon village, « quand tu as volé la chose d’autrui, tu vis dans la hantise que le propriétaire te retrouve pour réclamer son bien ». Le jugement de la conscience a remplacé celui défaillant ou arbitraire de l’ordre judiciaire, et la sérénité du vainqueur fait place au dérivatif facile qui consiste à inspirer la peur… Il croit qu’à la violence faite au peuple, celui-ci aura la tentation d’opposer une violence plus grande.
Ceci peut expliquer que le régime au pouvoir, et tous ceux qui en tirent des prébendes permanentes ou occasionnelles, y compris des pasteurs d’Eglises, fassent feu de tous bois pour demander au peuple camerounais de préserver la paix. Comme si la paix était le remède idoine contre les injustices, les inégalités, le népotisme, le tribalisme, la corruption et le déni des droits qui caractérisent notre gouvernance et, sont autant d’incubateurs d’une insurrection anarchique avec ses risques d’implosion du pays.
Les termes et l’ampleur du discours manipulateur entendu sur la paix, et la dérision de son argumentaire finissent par faire suspecter que le régime souhaitait à tout le moins un conflit postélectoral qui justifierait plus tard l’échec programmé d’un mandat de trop. Toujours est-il qu’en prêtant aux candidats victimes du hold-up électoral, l’intention de plonger le pays dans le chaos, le régime veut faire croire qu’en plus du brevet de fraude toutes catégories, de la prédation et de la corruption, il détient le monopole du patriotisme et l’exclusivité de la défense du peuple. Quelle imposture !
Mais si dans la logique sécuritaire de ceux qui confisquent les droits citoyens, on peut comprendre qu’une préfectorale acquise au Rdpc interdise les manifestations publiques qui sont consubstantielles à la liberté d’expression, sans être forcément synonymes des émeutes, par quel extraordinaire des pasteurs d’Eglises chrétiennes en sont-ils arrivés à professer que le peuple de Dieu, écrasé par l’injustice, doit l’accepter en échange d’une « paix » synonyme de tranquillité ? Il me semblait, sauf incurie de ma part, que le Christ est venu sur terre pour lutter contre le règne de l’injustice, et montrer aux hommes le chemin de la seule vraie paix. Celle qui émane de la volonté de chacun de vivre avec les autres, dans la justice pour tous, et le bonheur construit ensemble.
La paix que l’on demande aux Camerounais de sauvegarder, c’est la tranquillité de ceux qui, en violation des règles du jeu démocratique, ont confisqué les droits des autres et leur demandent d’y renoncer sagement pour que le BIR ne les tue pas. Tout comme dans le Sud-Cameroun certains on adopté comme slogan de campagne que « voter pour l’opposition c’est voter pour la guerre », on a entendu des « élites » du régime dire que « la coalition du chaos veut envoyer le peuple dans la rue pour se faire tuer »
Pourquoi faut-il, dans un pays réputé de droit, que le peuple se fasse tuer lorsqu’il veut user de son droit de manifester ? Les « Forces de l’ordre » de notre pays ne sont-elles pas capables d’encadrer paisiblement les manifestants, comme nous voyons celles des autres pays démocratiques le faire avec leurs « indignés » ? Ou alors, ne sont-elles que des « Forces du silence et de la mort » entre les mains d’une oligarchie engagée dans une dérivation impunie de la démocratie ?
La vérité c’est qu’à l’intérieur des frontières d’un pays qui n’est en guerre contre aucun voisin, ou qui n’est en guerre qu’avec la pauvreté de son peuple, la véritable paix n’a que deux noms : liberté et prospérité. Le processus électoral qui vient de reconduire M. Biya à la tête de la nation indique bien que si les Camerounais peuvent bavarder à souhait sur tout, ils n’ont toujours pas la liberté politique essentielle de se choisir des dirigeants et de les sanctionner à échéance. Ne pas reconnaître cette réalité, c’est mentir à nous-mêmes. Car, un processus qui se décline de manière à maintenir au pouvoir une oligarchie représentant en à peine 20% de la population pour gouverner la majorité de 80%, ne correspond manifestement pas à ce qu’on appelle en démocratie l’« expression de la volonté générale »
Quant à la prospérité, nous savons tous où l’on en est alors que 40% de la population vit avec moins de 500 Fcfa par jour, et que sur une population active de 10 millions de personnes au Cameroun (source : Rapport INS de septembre 2010), moins de 700 000, Fonction publique comprise, ont un revenu salarial formel. Ceci veut dire que les plus de 9 millions restant sont des « sauveteurs » du secteur informel, qui doivent conjuguer avec eux pour nourrir la moitié non active de la population totale (environ 20 millions de personnes).
Devant une telle situation, la paix qu’il faut ne peut être la paix des scribes synonyme de l’invitation du peuple à la résignation devant une violente tromperie. C’est plutôt celle dont le pouvoir devrait, ici et maintenant, travailler humblement à l’avènement, en ouvrant un dialogue politique national avec ceux que M. Biya a bien voulu remercier pour une fois, plutôt que d’en faire des « apprentis sorciers ». Un tel dialogue permettrait d’avoir une réflexion enrichie sur les moyens de construire un pays dont l’émergence ne commence pas par une brillante toiture exposée à l’effondrement, mais par une fondation institutionnelle garantissant la solidité de la nation et de sa bonne gouvernance.
La tranquillité de « on va faire comment ? » qu’affiche le peuple camerounais ne peut garantir l’éternité d’un régime auquel il adhère « par que faire » comme on dit dans la cité. Et tous ceux qui font de l’incantation autour des « grandes ambitions devenues de grandes réalisations » savent bien qu’en cas d’effectivité, elles s’avéreraient dépassées et apporteraient bien peu par rapport aux réalités sociopolitiques galopantes du pays, et qu’au demeurant en termes de promesse, pour être cru, il faut avoir déjà dit la vérité.
Comme M. Biya le sait pour avoir fréquenté les sages et philosophes, mais probablement aussi par acquis de conscience, « l’intelligence est une œuvre collective », et « du choc des idées jaillit la lumière ». Pourquoi ceci ne serait-il pas valable pour le leadership politique ?
Par Jean Baptiste SIPA(Le Messager)