lundi 17 septembre 2012
Quel regard le journaliste que vous êtes porte-il sur la presse camerounaise ?
Un regard mitigé. A vrai dire, je suis un peu apeuré par la manière dont le journalisme est pratiqué au Cameroun. Il y a beaucoup de pratiques peu compatibles avec le métier. Sur le plan purement humain, on a des choses comme la mendicité, cette façon d’obséder les grandes personnalités pour s’attirer leurs faveurs. Ce que j’appelle un exercice prébendier du métier. Alors, quand la gratification ne vient pas, on verse dans le chantage. On tente d’attirer son attention en faisant peur. Donc, on va fouiner dans sa poubelle, puisque tout le monde en a. Bref, il y a beaucoup de mauvais journalistes au Cameroun. Des tireurs à gage qu’on loue pour faire mal, pour de basses besognes. Beaucoup d’aînés ont quitté le métier parce qu’il est ainsi envahi. Et c’est cette réalité-là qui m’attriste.
Vous dénonciez tantôt les lobbies et réseaux politiques qui orchestrent et encouragent ces dérives. Compte tenu de ces influences, pensez-vous que la régulation soit possible ?
Fort heureusement, je ne suis pas un homme politique et je n’ai aucune carrière politique à poursuivre. Je suis un pasteur qui se trouve être journaliste aussi. Donc, je ne défends aucune chapelle politique. Ma neutralité est acquise, elle est sûre. Mon indépendance l’est aussi. C’est en cette qualité que je peux dire un certain nombre de choses sans avoir peur de faire mal à quiconque. Je réaffirme donc que le journalisme au Cameroun a été loué et même pris en otage par des chapelles politiques dans des combats de positionnement ou pour se nuire les uns les autres. Et par des tribus qui, de façon mécanique, luttent contre d’autres tribus. Et viscéralement, sans aucune réflexion, les journalistes se regroupent aussi par tribus ou affinités pour combattre des confrères. Pour réguler, il faut revenir à la profession. Il n’y a que les canons du métier qui tranchent. Ce n’est pas une exclusivité camerounaise. Je ne vais pas non plus prêcher l’angélisme. Ces lobbies existent partout dans le monde mais au Cameroun, ça manque d’élégance.
Ne pensez-vous pas aussi que le problème du journaliste au Cameroun est le fait qu’il soit mal payé ?
Si vous lisez l’histoire du journalisme, vous verrez que les journalistes ont commencé comme des gens très pauvres. Ils ont appris à payer le prix de cela. Aujourd’hui, les corporations sont nées, les entreprises de presse existent, fort heureusement, le journaliste est devenu un cadre qui est bien payé. Il faut aussi arriver à cela dans notre pays. Il faut aussi qu’il y ait des prix qui récompensent les journalistes qui font bien leur travail et qui tirent de leur métier des revenus substantiels pour vivre. Je reconnais que le salaire n’est pas toujours au rendez-vous mais ça n’explique pas la médiocrité.
Alors, comment comptez-vous réguler sans qu’on vous prête l’intention de vouloir museler les journalistes ?
C’est vrai qu’au Cameroun dès que vous touchez un problème réel, on vous ramène sur un champ sentimental. Il faut en sortir. Ou le métier a des règles et on les respecte, ou il ne les a pas. Les Camerounais n’inventent pas le journalisme. Il faut sortir des canaux de la complaisance et de la tolérance administrative. Tant que nous ne mettons pas en avant la compétence, nous ne sortirons pas de l’auberge. La régulation pour moi consiste à remettre sur la table le besoin des journalistes compétents. Arrêter avec la débrouillardise et l’opportunisme. Et les sanctions ne seront nulles autres que celles prévues par la réglementation. C’est-à-dire des avertissements verbaux d’abord. Puis la suspension momentanée, si vous n’obtempérez pas, on en tient à la suspension définitive.
Par Félicité BANANE N.(Cameroon Tribune)