mercredi 4 mai 2011
Avocat au barreau du Cameroun, Me Jacques Mbuny raconte son expérience de défenseur des droits de l’homme auprès des prisonniers.
Est-il exagéré de considérer que le milieu carcéral au Cameroun est un lieu de non droit pour les prisonniers ?
Ce n’est pas parce qu’une personne est condamnée qu’elle n’a plus le droit à la santé, le droit d’être traitée dignement, le droit d’être nourrie, le droit d’avoir un lieu où se reposer d’une manière décente. Mais le problème le plus important dans les prisons c’est la surpopulation exponentielle. Le nombre des prisonniers a presque triplé en cinquante ans, depuis l’indépendance du Cameroun, alors qu’aucune nouvelle prison n’a été construite. Il y a aujourd’hui une telle promiscuité dans nos prisons qu’il est difficile d’y séjourner et d’en sortir sans séquelles sanitaires. Il faut donc mettre l’accent sur la santé, la construction de nouvelles prisons et l’amélioration de l’alimentation des prisonniers.
De mémoire d’avocat, quelle situation d’atteinte aux droits des prisonniers vous a marqué ?
La perte d’un client, Alhadji Oumarou Souleymanou. Je le défendais dans le cadre du procès de la Société immobilière du Cameroun (Sic). J’ai vu M. Souleymanou mourir. J’ai pourtant tout fait pour tenter de le sauver. J’ai notamment saisi les autorités pour leur signaler que ce monsieur était en train de mourir. Hélas, les personnes chargées de gérer la santé des prisonniers sont trop souvent absentes. La place du régisseur est en prison : il y travaille à temps plein. En revanche, vous avez des médecins nommés dans les prisons, mais qui sont installés ailleurs. Ces médecins ne touchent pas du doigt la réalité du quotidien carcéral. C’est malheureusement lorsqu’un prisonnier est à l’article de la mort qu’on autorise son transfert à l’hôpital. C’est ce qui est arrivé à M. Souleymanou. J’ai écrit pour demander qu’il soit transféré… L’autorisation est arrivée trop tard.
Que faut il faire pour remédier à des situations de ce genre ?
Il est urgent de revoir la gestion de la santé dans nos prisons. Dans la dernière cuvée de l’Ecole d’administration pénitentiaire, nous avons près d’une dizaine de médecins. J’espère que l’Administration pénitentiaire va en faire bon usage. Une structure médicale fonctionnelle doit notamment être créée dans la prison.
"Les magistrats continuent d’envoyer les gens en détention même pour des délits mineurs "
L’avocat reste-t-il un acteur efficace pour la sauvegarde des droits des prisonniers ?
L’avocat a sa place, évidemment ! Chaque fois que nous le pouvons, nous faisons des visites en prison. Le projet Dignité en détention va d’ailleurs essayer de mettre l’accent sur les visites constantes dans les prisons afin de rendre compte de la situation des détenus. Il y a l’œil de l’Administration certes. Mais le regard des défenseurs que nous sommes peut l’aider. Lorsque nous nous rendons compte que l’Administration ne réagit pas rapidement, nous écrivons pour attirer l’attention sur tel ou tel cas.
Que pensez-vous du nouveau code pénal ?
Il prévoit que vous ne pouvez être détenu qu’à la condition de ne pas avoir de domicile fixe, s’agissant des délits et des contraventions. Une telle mesure aurait dû permettre de vider un peu les prisons. Or, nous constatons que les magistrats continuent d’envoyer les gens en détention même pour des délits mineurs. Où est donc l’avantage supposé de la gestion de la population carcérale, prévue dans ce nouveau code ?
Pourquoi ça coince ?
Avant 2004, l’Administration pénitentiaire dépendait de l’Administration territoriale. Aujourd’hui, elle est rattachée au ministère de la Justice. Il a été proposé la construction de plusieurs prisons : c’est une voie que ce ministère doit explorer dans les plus brefs délais.
Que suggérez-vous, en priorité, pour redonner au prisonnier sa dignité ?
Pour désengorger les prisons, il faut juger plus rapidement les prévenus, freiner l’élan qui consiste à envoyer trop facilement les gens en prison, éviter notamment d’enfermer les auteurs de délits mineurs. C’est l’une des causes de la saturation de nos prisons.
Propos recueillis par Claude Tadjon (avec Jade)
Dossier réalisé avec l’appui financier de la Commission européenne. Le contenu relève de la seule responsabilité de Jade et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant la position de l’Union européenne.