lundi 9 avril 2012
Dans ces extraits d’une interview accordée au quotidien Mutations (29/03), l’ancien bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Cameroun dévoile les véritables motivations de l’ « Opération épervier ».
La Cour suprême vient d’annuler trois chefs d’accusation mis à la charge de l’ancien ministre de la Santé publique Urbain Olanguena Awono. Quelle réaction vous inspire cet arrêt de principe, pris dans le cadre de l’« Opération épervier » ?
Cette décision est une première. C’est une indication de la prise en charge de son indépendance par le pouvoir judiciaire, face à des mécanismes de poursuites qui, depuis quatre ans, ont montré qu’il s’agissait des poursuites à tête chercheuse et qu’on a pris beaucoup de libertés sur les droits de la défense, sur les droits des accusés, sur la manière de mettre en mouvement l’action publique sans tenir compte du fait qu’il fallait respecter scrupuleusement les prescriptions des articles du Code de procédure pénale. Et face a cette vague qui était accompagnée par un mouvement d’opinion qui, à juste titre, dénonçait les détournements de deniers publics, sans discernement, on a, sur la base des rapports d’inspecteurs d’Etat qui ne sont pas des rapports judiciaires ou des rapports d’officiers de police judiciaire, mis en mouvement des poursuites qui, face à la contradiction ont montré leurs limites du point de vue du droit. Depuis cette date, les acteurs du système judiciaire que nous sommes ont essayé d’attirer l’attention des juridictions de jugement sur la vacuité de charges qui étaient mises à l’encontre de ces accusés et, comme vous avez pu l’observer, sur la quasi-totalité du territoire national, les juridictions ont comme par enchantement décidé d’opposer une fin de non recevoir à toutes les demandes de mise en liberté, d’Habeas Corpus et d’annulation des actes de poursuites.
Peut-on alors parler d’acharnement ?
Effectivement, on avait l’impression qu’il y avait une pression de la chancellerie sur le système judiciaire, pour que toutes ces affaires dites affaires de l’ « Opération épervier » aillent dans le même sens : condamner, condamner, condamner, sans pour autant toujours motiver. Lors de la dernière rentrée solennelle, le procureur général près la Cour suprême avait déjà donné une indication en précisant que les magistrats ont une obligation de motiver leurs décisions, et qu’il ne suffit pas de dire que telle personne est coupable pour que ce soit une vérité (...) Ce n’est pas parce que les inspecteurs d’Etat ont constaté des fautes de gestion que celles-ci se transforment, ipso facto, en fautes pénales.
L’autre pan de cette décision est la récusation, par la haute juridiction, de la collégialité de la présidente Nomo Zanga. Que vous inspire ce désaveu ?
(...) Ces arrêts, qui ont été rendus dans un contexte extrêmement particulier, où le garde des Sceaux a changé, peuvent être justifiés par le fait que nous savons, aujourd’hui, qu’à la chancellerie nous avons un garde des Sceaux qui est un haut magistrat et qui a un regard différent sur ce type d’affaires « Epervier ». On aura de moins en moins d’interventions de la chancellerie dans ces affaires, et les juges auront de plus en plus de liberté pour rendre leurs décisions parce qu’ayant moins de pression sur eux-mêmes. (...) Vous aurez observé, comme moi, que dans le cadre de ces affaires aujourd’hui, les parquets travaillent un peu plus, les parties civiles sont obligés de faire beaucoup plus de travail alors qu’avant, ils considéraient que c’était acquis. Dès qu’on vous poursuivait dans le cadre de « Opération épervier », peu importait la qualité du parquet, peu importait la qualité des avocats de l’Etat, on avait la certitude que les juges allaient suivre.
Que pensez-vous de l’ « Opération épervier » et de la manière dont les poursuites sont menées devant les tribunaux ?
(...) On a voulu impressionner l’opinion publique par beaucoup de bruits autour d’un tonneau, qui s’est avéré vide. Dans la plupart de ces affaires, la précipitation a fait qu’on n’a pas eu le temps de bien préparer les poursuites. Aujourd’hui, on se rend compte que beaucoup de dossiers sont vides. Et on a voulu instrumentaliser la Justice pour couvrir des fautes à la fois politiques et juridiques (...) L’Histoire retiendra que ce processus, sur la base de l’ « Opération épervier », aura été une grosse nuit noire dans la recherche de la lumière, de la vérité dans notre pays.
Source : Répères