samedi 12 octobre 2013
Le président du Parti des démocrates camerounais (Pdc) s’exprime sur les élections organisées en 2013, la mise en place des institutions et l’« Opération épervier ».
Où êtes-vous passé depuis l’élection présidentielle de 2011 ?
Depuis le 11 octobre 2011, je n’ai pas bougé de Mva’a. Je suis revenu d’Europe en septembre 2010. J’y ai toujours vécu. Je cultive mon jardin, comme dirait l’autre. J’avais entamé des travaux de construction ici à Mva’a vers fin 2010, que je poursuis encore. Je suis là, j’observe bien sûr la scène nationale camerounaise. Je suis rentré pour faire de la politique. Je ne m’en cache pas et je n’ai pas honte de le dire. Pour moi, faire de la politique c’est servir la Cité au sens étymologique du terme. La priorité, c’est la Cité. Notre Cité aujourd’hui, pour les 20 millions de Camerounais que nous sommes, c’est tout le Cameroun. Ce sont ses dix régions ; c’est le triangle national, comme on le dit généralement. Je suis donc là pour servir le triangle national.
Vous me poserez la question : comment peut-on servir ? Je vous dirais qu’on peut le faire de diverses manières. Le médecin que je suis, c’est ma formation. Lorsqu’il reçoit un malade, il l’écoute d’abord : Il prélève une anamnèse pour comprendre quels sont les symptômes qui ont conduit ce patient à aller voir un médecin. Il pose un diagnostic et il propose un traitement. Et je pense que, schématiquement, la démarche n’est pas différente à l’échelle d’un pays. Tout comme le médecin, je pense que je peux proposer des traitements. Que je sois aux affaires ou pas, je peux le faire. En tant que citoyen engagé, j’écoute, je tire des conclusions et je propose des solutions.
Avant d’en arriver aux propositions, on se rappelle que votre installation ici a été sujette à des malentendus, à des Problèmes de manière générique... Tout s’est arrangé ?
Votre question est simple, mais elle est aussi compliquée. J’ai le sentiment que, dans notre pays, les choses fonctionnent à deux niveaux : le niveau officiel et le niveau officieux. Sur le plan officiel effectivement, il y a eu des délégations d’« élites » de la zone qui manifestement ne voulaient pas me voir m’installer ici. Ils sont allés jusqu’à porter plainte au tribunal de première instance de Monatélé. Sur le plan officieux, par contre, des messages me parviennent qui me font comprendre que les autorités de ce pays ne veulent pas entendre de remous parce que c’est tout à fait inutile. Et je leur donne tout à fait raison.
Comment un citoyen d’Obala se retrouve-t-il installé dans l’arrondissement d’Okola, même si on doit vous reconnaître que vous êtes citoyen camerounais partout au Cameroun ?
Encore une fois, si on s’en tient à notre Constitution : tout citoyen camerounais est libre de s’installer partout où il le voudrait sur toute l’étendue du territoire national. Mais, sur le plan traditionnel, c’est peut-être ce que vous voulez m’en¬tendre dire, mon père est originaire d’Edinding, qui appartient aujourd’hui à l’arrondissement d’Obala, car à l’époque coloniale il était du ressort de Sa’a. Ma mère est originaire d’Efok, de Nkoledouma qui appartient également à l’arrondissement d’Obala. Comment est-ce que je me retrouve ici ? Vous savez, il faut être transparent et dire les choses telles qu’elles sont. Du côté d’Edinding, nous n’avons plus de terre. Tout simplement. Traditionnellement, quand on est originaire d’Edinding, c’est-à-dire Essèlé, pour la petite histoire tribale, on ne peut pas aller s’installer dans, la zone d’origine de sa mère. Notre tradition ne le permet pas. Face à cette situation, j’ai opté, un peu comme le faisaient nos ancêtres aussi : on devenait un homme quand on quittait la concession de son père et de sa mère pour aller fonder sa propre famille, sa propre concession ailleurs. La modernité aidant, je me suis adressé à des amis, à des collaborateurs qu’ils ont bien voulu me trouver du terrain. Je leur avais demandé de me trouver du terrain entre 0 et 40 kilomètres de Yaoundé, quelle que soit la direction. Il s’est avéré que c’est ici qu’ils ont trouvé de la place. Et la tribu locale, les Mvog Noah, ont bien voulu m’accueillir parmi eux. Je fais donc partie de cette communauté, avec laquelle je vis aujourd’hui en harmonie.
Revenons à la politique, on se serait attendu, après la tentative avortée de la présidentielle de 2011, que vous vous présentiez comme candidat ou que votre parti présente des listes pour les législatives et municipales du 30 septembre 2013...
Laissez-moi vous répondre non pas en homme politique, mais en homme tout court, en toute honnêteté, dans la transparence et en tant que scientifique. La vérité, c’est que le Parti des démocrates camerounais n’a jamais été définitivement structuré même du temps d’André Marie Mbida en personne (ce parti fut créé en janvier 1968). André Marie Mbida quitte le pouvoir le 17 février 1958, et s’exile à Conakry à la fin de cette même année-là. Lorsqu’il revient en février 1960, le Cameroun est indépendant. Il y a les rencontres de Foumban. Il y a peu après son arrestation, le 29 juin 1962. Le Pdc, à l’époque déjà, n’était pas bien structuré. Au lendemain de la légalisation du parti, en 1992, nous sommes aux urnes pour les législatives. Encore une fois, le parti n’avait pas été bien structuré : la précipitation avec laquelle les choses se sont effectuées ne nous a pas permis de nous installer sur l’ensemble du territoire camerounais.
Comment appréciez-vous l’évolution du Mrc et du Cpp ?
Elle n’est pas négative. Le véritable problème, c’est que lorsque vous parlez du Mrc, les Camerounais se disent que c’est un parti d’un ressortissant de telle région. Avec le Cpp, de par sa consonance anglo-saxonne, on déduit que c’est telle autre région. C’est ça qui est dramatique dans notre pays. Cela signifie qu’en fait, les partis politiques camerounais fonctionnent encore sur la base d’un clivage régional et tribal qui est ethnico-culturel. Cela est dommage. Un parti politique ne se comprend pas encore comme la manifestation d’une idéologie, l’expression d’un projet de société qui s’adresse à tous les Camerounais, quelle que soit leur région. Ici, il est compris plutôt comme la manifestation d’une volonté politique issue d’une région donnée du Cameroun. Et c’est le cas des deux partis que vous citez, malgré quelques saupoudrages apparemment nationaux ici et là. Tout cela parce que, malheureusement, tel que les choses sont organisées dans notre pays, on a laissé se développer des affrontements pure-ment individuels et personnels entre les citoyens. On a laissé se développer une espèce d’encrage sentimental, tribal et culturel. On ne défend pas les idées, on défend sa région. Voilà pourquoi ces partis se développent dans des zones précises, dans des régions précises avec une coloration ethnico-tribale précise.
Le Sénat mis en place, le président annonce le Conseil constitutionnel... Pensez-vous que la mise en place de ces institutions-constitue un gage pour une transition en douceur ?
J’ai entendu parler de transition en douceur. En quoi le Sénat peut-il faciliter une transition en douceur ? Qu’appelez-vous transition en douceur ? En cas de vacance de pouvoir, c’est le président du Sénat qui devient Chef de l’Etat pour une durée qui ne peut pas dépasser trois mois, maximum. Et il n’a pas le droit de se présenter comme candidat. La transition en douceur, c’est laquelle dans cette situation ? Ce dont le Cameroun a besoin aujourd’hui, c’est d’un groupe de Camerounais indépendants des clivages ethnico-tribaux, qui présentent à la nation camerounaise un projet de société reposant sur des idées, pas des dogmes.
Le Cameroun, jusqu’à nos jours, n’a pas de modèle économique, pas de modèle social. Lorsqu’on parle du modèle économique allemand, on comprend vite qu’ils ont opté pour l’industrialisation. La France, elle, a décidé de libérer les fonds pour permettre aux Français de consommer plus en se disant que, par-là, on stimulera la production industrielle interne du pays. Aujourd’hui, on se rend compte que les Français ont fait fausse route. Dans le cas du Cameroun, comment peut-on résumer en quelques mots le modèle économique et social ? Au Cameroun, nous n’avons pas de modèle social, pas de sécurité sociale non plus. On n’a pas de salaire minimum garanti réellement applique. Nous n’avons pas de prise en charge des chômeurs, nombreux. Rien n’est prévu pour les femmes, nombreuses. Peut-on parler d’aide au logement au Cameroun ? Non ! Le Cameroun, après 50 ans d’indépendance, n’a toujours pas de modèle social. En France, puisque c’est le pays que nous connaissons bien, il existe un modèle culturel encore appelé l’exception culturelle. Quel est le modèle culturel camerounais ? Tout cela doit porter sur des politiques bien précises. A quoi pensons-nous quand il s’agit de protéger les producteurs locaux ? On nous rappelle, lors des discours prononcés par le Chef de l’Etat ces trois dernières années à l’instar de celui du Comice d’Ebolowa, que le Cameroun importe annuellement au moins pour 500 milliards de FCFA de denrées diverses. Dans ces conditions, pourquoi créer, la Mirap et ne pas subventionner les petits paysans ? La Crtv nous a rapporté, il y a quelques jours que, au stade actuel - et on n’est pas encore à la fin de l’année - que nous avons déjà commandé pour 138 milliards de FCFA de poisson étranger. Le palmier à huile, aujourd’hui plante en Indonésie, vient d’Afrique centrale.
Aujourd’hui, le Cameroun importe de l’huile de palme. Le premier producteur d’arachide au monde, aujourd’hui, c’est la Chine, suivie du Nigeria. Il faut encourager nos concitoyens à investir dans les domaines où nous pouvons être meilleurs que ce que nous sommes aujourd’hui.
Il y a aussi le volet culturel. Nous sommes en veste, chemise et cravate parce que c’est l’image laissée par le colon.
Nous oublions que tous nos parents viennent des villages. Le Camerounais « normal » a aujourd’hui honte de la terre, honte de cultiver, de pratiquer l’agriculture. On préfère être bens-kineur, chauffeur de taxi, vendeur à la sauvette plutôt que de rentrer au village travailler la terre. Cette honte instaure dans les esprits par rapport au travail de la terre doit disparaître. Et il faut que les pouvoirs publics puissent s’y mettre. C’est en partie pour cela que je suis revenu. C’est un peu pour cela que je suis à l’aise à plus de 30km de la capitale. Si j’ai retenu un mot dans le discours du Chef de l’Etat, au lendemain des élections de 2011, c’est : « ensemble ». J’ai le sentiment qu’ils ont dit « ensemble », mais en réalité ils veulent rester entre eux.
Êtes-vous prêt à collaborer si on vous nommait au gouvernement ?
Jusque-là, il n’en est rien. Attendons voir.
La longévité de Paul Biya au pouvoir peut-elle être considérée comme un atout ou un risque ?
Si l’on prend pour exemple ce qui se passe dans les pays voisins comme la Centrafrique, je ne sais pas si le départ de Bozizé a servi à quelque chose mais j’ai l’impression que Djotodia ne semble pas bien tenir la direction. Cela peut être considéré comme un inconvénient, dans la mesure où on n’accepte pas de renouveler ses idées et on persiste à faire des choses qui ne produisent pas les effets escomptés. Lorsque Paul Biya prenait le pouvoir, en 1982, nous n’étions pas 20 millions d’habitants. Les démographes n’estiment aujourd’hui que 65% de la population camerounaise à moins de 35 ans. Si le Président Biya est au pouvoir depuis 32 ans, cela signifie que 65% de Camerounais aujourd’hui n’étaient pas nés ou alors avaient un ou deux ans. La question qu’on peut se poser aujourd’hui, c’est : peut-il encore le comprendre ? Peut-il répondre à toutes les attentes ?
Personnellement, cela ne me gêne pas que nous ayons un Président de près de 80 ans. Je ne sais pas lire un fil à plomb, ni voir le niveau d’eau. Je ne suis pas capable non plus de dresser une planche ou de la couper aux dimensions voulues. La question n’est pas de savoir si Paul Biya sera là ou pas. Mais s’il est prêt à associer des Camerounais voulant travailler à la construction du pays, à la construction on nationale... Parce que c’est cela le véritable problème. Et, à de niveau-là, je suis le fils d’un homme qui a posé les bases de l’Etat du Cameroun. Il était Premier Ministre, chef du gouvernement, Chef de l’Etat autonome, c’est lui qui a donné au Cameroun son drapeau : vert-rouge-jaune ; son hymne : « Cameroun, berceau de nos ancêtres... ». C’est encore lui qui a donné la devise du Cameroun : « Paix-Travail-Patrie ».
J’ai été élevé dans le sens de l’Etat. J’ai également été élevé dans le sens du bien public. Je me suis toujours battu, et continuerai à le faire pour l’amélioration des conditions de vie de tous les Camerounais. Mon seuil de tolérance à l’injustice est très bas. Il y en a qui peuvent vivre l’injustice que subissent leurs concitoyens sans la moindre gène. Je veux que les libertés publiques soient protégées. Pour moi, lorsqu’on parle de croissance, je pense à celle qui est durable et qui profite à la majorité des citoyens. Quand on parle de croissance 4 ou 5%, voire plus et qui ne profite qu’à une minorité des Camerounais, ce n’est pas de la croissance. La croissance doit entraîner le progrès pour la majorité des citoyens. Dans un pays où il n’y a pas de classe moyenne, des idées nouvelles ne peuvent pas émerger, qui font progresser une société. Elles ne viennent pas du fonctionnaire, qui est un exécutant et qui applique des textes. Les idées neuves viennent de la société civile. Ici, c’est générale-ment les classes moyennes, peu nombreuses au Cameroun. Nous devons construire une société harmonieuse. Un seul individu ne peut pas y arriver tout seul. C’est cette ouverture de démocratie participative qu’il nous faut. Nous devons ouvrir les portes aux uns et aux autres pour qu’ils puissent venir développer le pays, et pas rester frileux en protégeant chacun son siège.
Que pensez-vous du retour d’Aminatou Ahidjo et de sa posture politique ?
Un non-événement. Rien à dire là-dessus.
Elle porte quand même un nom qui est étroitement lié à l’histoire du Cameroun...
Rien à dire là-dessus !
L’« Opération épervier » constitue-t-elle un risque, pour un système qui a trop duré ? Peut-elle provoquer une catharsis pour entraîner le Cameroun vers de nouveaux rivages ?
Le parti au pouvoir n’est pas structuré. Une structure suppose que, si un seul élément est déstabilisé, c’est tout l’édifice qui s’effondre. On a mis en prison un ancien Premier Ministre, un ex-secrétaire général à la présidence de la République, un ancien Ministre des Finances, des Ministres et membres influents de cette structure politique. Si c’était une structure selon la définition scientifique du terme, elle se serait effondrée. En fait, le Rdpc est un cheval de Troie à l’intérieur duquel pénètrent certains pour aller réaliser leur propre dessein individuel et personnel. Le seul élément clé du système ; c’est le Président de la République lui-même avec une deux ou trois personnes autour de lui. Quatre, au maximum. La structure tient parce que Paul Biya est là. C’est lui la structure. Je ne veux dénigrer personne. On peut à peine compter sur les doigts d’une main ceux qui autour de Paul Biya auraient un quel¬conque pourvoir politique dans ce pays. Quel est le pouvoir politique des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat ? Normalement, leurs institutions devraient jouer le rôle de contrôle externe.
Comment voyez-vous le Cameroun dans cinq ans ?
Le Cameroun est appelé à changer. Personnellement, je ne souhaite pas que cela se fasse dans la violence et la brutalité. Des exemples autour de nous prouvent, à profusion, que ce n’est pas dans, la violence qu’on peut changer les choses. Le citoyen Camerounais peut-il changer les choses ? Certainement pas. La seule et unique personne qui peut changer le Cameroun, dans les cinq années à venir, c’est Paul Biya lui-même. C’est sa décision personnelle. C’est son rôle et son devoir. Il n’y a que lui. Je veux dire que, s’il faut procéder au changement dans la douceur, comme nous l’avions mentionné plus haut, il n’y a que lui. Après 32 ans au pouvoir, Paul Biya n’a plus rien à prouver au Cameroun. Il n’a plus à se battre pour son poste, pour l’histoire : il est déjà entré dans histoire.
Ce qu’il faut, désormais, c’est faire en sorte que le Cameroun reste dans la paix au point qu’on n’aura pas à s’étriper tel que cela s’est produit en Côte d’Ivoire. Ce que nous oublions souvent, c’est que l’Afrique a subi beaucoup de dégâts. Nous avons subi l’esclavage, la colonisation abjecte. Après la colonisation, ce n’est un secret pour personne, c’est Jacques Foccard qui nommait les chefs d’Etat africains à coté de De Gaule. Et après la colonisation, il y eu ça qu’on appelle vulgairement ici les chefs de terre (sous-préfet, préfets des gouverneurs). Puis des commandements opérationnels. Au final, l’Africain a appris à avoir peur, à respecter sa peur. Le colon nous a fait peur, le négrier nous a fait peur ; les gouvernements africains font peur aux Africains. Tout Camerounais qui veut s’engager à fond, dans une position contraire au pouvoir en place, court des risques. Le fonctionnaire court des risques de voir sa carrière s’interrompre, l’homme d’affaires court le risque de ne plus avoir de marché et de voir ses factures être bloquées aux Finances. Même vous, les journalistes, vous courez des risques. Pour faire fonctionner une entreprise, il faut des capitaux mais où les trouver ? Évidemment chez ceux qui ont de l’argent. Qui a de l’argent dans ce pays ? Ce sont les pouvoirs publics. Ce que je voudrais dire, c’est que la peur installée par les négriers, qui a été maintenue par les colons et s’est réinstallée avec le nouveau gouvernement, n’est pas partie. Les Camerounais ont peur. Les Africains ont peur. Voilà pourquoi je pense que le sursaut ne viendra pas d’eux.
Propos recueillis par GEORGES ALAIN BOYOMO (Mutations)