lundi 23 mai 2011
Son parti politique, le Cameroon’s people party (Cpp), n’a pas été autorisé à participer au défilé du 20 mai dernier à Yaoundé. Candidate à la prochaine élection présidentielle, elle raconte aussi comment elle a été enlevée à Yaoundé et déportée à Douala.
Vous avez été ramenée manu militari à Douala vendredi dernier, toute chose qui a interrompu votre programme dans le cadre des manifestations de la fête nationale à Yaoundé.Pouvez-vous nous raconter le film de ce que vous appelez enlèvement ?
Le 10 avril 2011, le Cameroon’s people party (Cpp) dépose une notification de participation au défilé du 20 mai. La date limite fixée par le gouvernement est le 29 avril. Le 13 mai, nous confirmons notre participation par une lettre adressée au préfet du Mfoundi, spécifiant le nombre de carrés que nous comptons présenter au défilé. Tout au long de cette période, la préfecture a tenu de nombreuses réunions préparatoires auxquelles nous avons été convoqués et avons participé. Le 18 mai, quand nous arrivons aux entraînements, on nous tend une lettre, nous disant que nous ne sommes pas autorisés à défiler, parce que nous avons déposé tardivement notre notification. Et, faisant référence à la lettre du 13 mai, nous rappliquons tout de suite au bureau pour apporter la lettre du 19 avril, qui a le tampon de la préfecture du Mfoundi et qui démontre clairement qu’ils l’ont reçue. Quand nous revenons vers eux avec cette lettre datée du 19 avril, le discours change. On nous dit, « même si vous avez respecté le délai, vous ne pouvez pas participer au défilé, parce que vous n’avez pas participé aux entraînements ». Et donc, nous prenons acte du fait qu’on ne va pas pouvoir participer au défilé du 20 mai dans notre pays. Nous informons nos militants, chose difficile, car ils voulaient vraiment défiler. Nous nous réorganisons pour avoir un événement en alternative un peu plus tard. Nous organisons alors une conférence de presse pour informer les médias et les Camerounais que le Cpp a été bafoué dans ses droits le jour de la fête nationale. Nous sommes toujours le 19 mai. A la suite de la conférence, en tant que présidente du Cpp, je participe à un plateau de télévision avec le ministre de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire, Louis Paul Motaze, et son homologue des Finances, Essimi Menye. Sur ce plateau, nous faisons tous preuve de cordialité, avec des opinions politiques très divergentes. J’ai l’impression d’être dans une démocratie civilisée. Mais voilà que moins de 24 heures après, je suis kidnappée à mon hôtel (hôtel Mont Fébé, Ndlr) par des forces rattachées à la présidence. A ce jour, je ne sais pas si c’était la Garde présidentielle elle-même ou une autre force de sécurité, mais la voiture qui m’emmène est banalisée, avec pour seul élément d’identification, l’affiche « Passe spécial Prc ». Donc, très évidemment, c’est la présidence de la République qui est en train de me kidnapper en tant que candidate à l’élection présidentielle.
Comment s’est achevé le feuilleton de votre enlèvement ?
Ces quatre messieurs, alors dans le véhicule, saisissent d’abord mes téléphones pendant que nous sommes encore à Yaoundé, plus une caméra et des documents personnels. Ils confient tous ces objets à un des leurs au niveau de l’hôtel Mont Fébé (où ils m’ont arrêtée), et me conduisent directement à Douala. Il faut dire qu’ils retiennent mon chauffeur à Yaoundé pendant près de quatre heures de temps. A Douala, ils m’ont demandé où j’habitais. Je leur ai indiqué le lieu à Bonapriso et ils m’ont déposée devant ma maison. Il faut dire qu’en dehors du fait qu’ils étaient en train de bafouer mes droits les plus élémentaires en tant que citoyenne camerounaise, ils étaient d’une grande courtoisie et d’un grand professionnalisme. Ils étaient des policiers de très haut niveau. Ce qui confirme qu’ils venaient probablement de la présidence.
Certains de vos militants ont également été interpellés et conduits dans des unités de gendarmerie à Douala. Dans quelles circonstances se sont déroulées ces arrestations ?
Nous avons trois militants qui ont été arrêtés au niveau de la place de l’Udéac à Douala, pendant le défilé. Ils ont été menottés, ils étaient en tenue du parti et ils distribuaient des flyers du parti, qui décrivent le parti et la présidente que je suis. Ils sont détenus depuis hier (vendredi 20 mai, ndlr) à la brigade du port sud de Douala, sans que personne ne puisse nous donner de motif. Les gendarmes qui les détiennent disent que c’est sur instruction des autorités administratives. J’ai rencontré personnellement le gouverneur du Littoral, qui dit qu’il n’a pas ordonné d’arrestation, mais qui n’a rien fait pour libérer ces Camerounais privés de leur liberté depuis deux jours (vendredi dernier, ndlr).
Quelle démarche envisageriez-vous si ces camarades de votre parti ne recouvraient pas leur liberté dans les plus brefs délais ?
J’ose croire que les autorités administratives vont revenir à leur bon sens et que les militants du Cpp seront libérés d’ici peu, et qu’une manifestation de ce type pour exiger leur libération ne sera pas nécessaire. Toutefois, nous gardons toutes les possibilités ouvertes pour nous assurer que toutes ces personnes-là recouvriront leur liberté.
L’option judiciaire est-elle envisageable si jamais vous ne parveniez pas à obtenir la libération de ces militants dans les plus brefs délais ?
Très certainement. Nous allons poursuivre des actions judiciaires à l’encontre de tous ceux qui ont enfreint la loi camerounaise à l’égard des militants du Cpp.
Qu’en est-il du cas de cette autre militante interpellée à Dschang ? Dans quel état se trouve-t-elle à l’heure qu’il est ?
Une militante a été détenue elle aussi pendant toute la journée du 20 mai au commissariat de Dschang. On lui a permis de rentrer chez elle mais on lui a demandé de revenir lundi matin (aujourd’hui, ndlr), on ne sait trop pourquoi.
Des arrestations n’ont pas été annoncées dans les rangs des autres formations politiques de l’opposition, pourtant tout aussi critiques à l’encontre du pouvoir. Du coup, avez-vous le sentiment que votre parti est particulièrement redouté par le régime ?
Ecoutez ! On fait l’objet d’une attention particulière. De toutes les façons, cette attention a pour motivation la peur. Le pouvoir a peur de notre parti. Maintenant, je ne pense pas que les autorités camerounaises ont raison d’avoir peur. Nous sommes supposés être en démocratie, nous avons une élection présidentielle dans quelques mois. Ce dont ces autorités devraient se préoccuper, c’est de s’assurer que les règles du jeu sont bonnes et elles devraient laisser la politique aux acteurs politiques. En ayant peur, elles commettent des erreurs qui sont graves pour les citoyens du Cameroun, pour l’image du Cameroun dans le monde et pour l’institution qu’est la présidence de la République.
Comment s’est déroulé le défilé des militants du Cameroon’s people party dans les autres régions du pays ?
Dans les autres régions du Cameroun, le Cpp a défilé en grande pompe pour la circonstance. Dans la plupart des régions, nous étions soit le parti le mieux représenté, soit en deuxième position. Donc, je suis très fière de ces militants du Cpp qui nous ont permis, malgré ces violences faites à nos droits, de participer à la fête nationale.
Vous, personnellement, pourquoi avez-vous choisi de défiler à Yaoundé alors que votre parti est implanté à Douala où vous menez d’ailleurs vos activités ?
Le parti est implanté sur le territoire national et il n’y a pas un coin au Cameroun qui est la chasse gardée de quelqu’un. Nous avons le droit, en tant que Camerounais, de défiler partout dans le pays. Et Yaoundé faisait simplement partie des nombreuses villes où nous avons défilé.
Parlons à présent des perspectives. Ces intimidations dont vous faites l’objet de la part du pouvoir vont-elles vous faire changer d’avis et de stratégie par rapport à la prochaine élection présidentielle ?
(Rire aux éclats) Pas du tout ! Il y a une seule chose qui se passe. C’est un renforcement, un raffermissement de la conviction qu’il est nécessaire d’avoir un changement au Cameroun. Nous ne pouvons plus cautionner de vivre dans un pays où les citoyens peuvent être arrêtés à tout moment, kidnappés à tout moment sans recours et sur fantaisie d’un fonctionnaire. Il n’y a pas un seul Camerounais qui veut vivre dans un pays comme ça. Ce qui est clair, c’est que the time’s now.
Votre candidature à la prochaine élection présidentielle est donc maintenue…
Absolument !
Globalement, quel regard posez-vous sur la fête nationale telle que célébrée cette année sur l’étendue du territoire national ?
Je dois dire que j’ai beaucoup de mal à surmonter les agressions d’un Etat sur les droits de ses citoyens, qui se font le jour même de la fête nationale. Maintenant, si je m’efforce, je retiens le thème de la journée qui fait de l’armée le garant de l’unité nationale et d’autres valeurs de la nation. Je crois que ce thème est indicateur d’un régime qui est aux abois. En fait, ce régime rappelle à ses citoyens qu’il va faire usage de la force et de la violence pour se maintenir. Et ce régime prend l’institution qu’est l’armée (une institution qui doit être au service de la nation) et essaie de nous faire croire que cette institution est au service du régime. C’est triste.
La 39ème édition de la fête nationale survient quelques mois avant la célébration de la Réunification du Cameroun. Cet événement vous inspire-t-il une réflexion ?
Nous n’avons malheureusement pas commencé le travail pour que cette Réunification soit réelle. Nous avons un Cameroun anglophone qui est mal dans sa peau ; nous avons un Cameroun francophone qui est tout aussi mal dans sa peau. Nous avons une histoire du Cameroun, liée à cette Réunification, mais qui est inconnue des Camerounais. Et dans les trente dernières années, nous n’avons mené aucune action concrète pour consolider cette Réunification. Pour moi, ce cinquantenaire doit marquer un nouveau départ, une véritable recherche de dialogue, de compréhension et d’unité des différentes parties du Cameroun.
Vous avez fait du concept « The time’s now » votre cheval de bataille. Sur quoi se fonde ce slogan ?
Le concept « The time’s now »… Je crois que tous les Camerounais en ont marre. Tous les Camerounais veulent le changement. Il est l’heure de passer à l’action, il est l’heure de s’organiser en tant que peuple, il est l’heure de mettre un leadership à la tête du pays.
Quelle place accordez-vous aux femmes au sein de votre parti ? Sont-elles la cible privilégiée de vos actions politiques ?
Nous ciblons tous les Camerounais de toutes les couches et de tous les âges. Maintenant, ce qui est intéressant pour les femmes, c’est qu’elles quittent les marges de l’action pour se positionner en tant qu’acteurs et leaders. Je crois que ça c’est bon pour les femmes et que c’est surtout bon pour la société. Et c’est la même chose pour les jeunes qui sont, eux aussi, très impliqués.
Votre parti est officiellement déclaré depuis seulement quelques mois, mais déjà, vous faites feu de tout bois. La dernière action d’envergure est la tournée nationale que vous avez entreprise dans les régions septentrionales du Cameroun. D’où vous viennent les moyens pour organiser tant d’actions ? Qui sont vos soutiens ?
Les Camerounais sont derrière le Cpp. Vous allez être surpris du nombre de tournées qui sont organisées et financées par les gens qui nous reçoivent. Tout le personnel de la campagne est composé de volontaires. Donc, eux aussi, en donnant gratuitement leur temps, financent la campagne. Je rappelle que nous sommes 9 millions d’électeurs potentiels au Cameroun. Si un million de ces électeurs donnent 1000 francs Cfa pour financer la campagne, ça fait un milliard pour la campagne. Vous voyez que nous sommes capables de financer notre campagne.
Propos recueillis par Théodore Tchopa(Le Jour)