dimanche 9 août 2009
Rire, larmes, dénonciation au menu de son troisième album plein de surprises musicales qu’elle annonce pour 2010.
Des rumeurs disent que votre troisième album est fin prêt. Aura-t-il la même tonalité que le précédent ?
Je suis actuellement en studio pour ce troisième album qui, je l’espère, sera plus mature et de ce fait pourra s’ouvrir à d’autres influences. Vous savez, j’aimerais à long terme faire du bikutsi dans l’esprit de Sally Nyolo. C’est pour cela que progressivement, dès ce troisième album, mes fans vont par exemple trouver des percussions effectuées par des artistes venus du Nord-Cameroun qui me plaisent beaucoup. Il y aura donc trois ou quatre mélodies avec cette tonalité. Dans ce troisième album, j’ai envie de me projeter à l’international. Je pense que je suis déjà un peu connue dans plusieurs pays d’Afrique mais pour moi, le succès n’est pas que cela. Il faut que j’aille plus loin.
Vous avez décidé d’intituler ce troisième album "Bombe atomique " ; y -a t- il une guerre à l’horizon ?
Pas du tout ! Je suis quelqu’un de très pacifique comme vous le savez. "Bombe atomique", représente pour moi l’espoir. La bombe atomique comme chacun le sait rase tout et on recommence. C’est ce que je propose dans cet album. Je vois donc en "Bombe atomique" cette lumière qui viendra un jour nettoyer les cœurs noirs. Au départ j’ai pensé à "Cœurs impurs" comme titre de l’album, mais je me suis ensuite ravisée et ai choisi "Bombe atomique". Après une bombe généralement, c’est le ravage. Moi je veux un ravage positif. C’est-à-dire une bombe qui change les cœurs. Dans cet album, j’ai pleuré, crié, dansé… C’est l’espoir pour moi. Quand je parle de bombe, c’est cette lumière qui viendra un jour nettoyer les cœurs noirs.
Vous avez également songé au coupé-décalé à ce qu’il paraît ?
Dans mon troisième album, j’ai fait un "atalaku" en bikutsi car j’ai envie de montrer qu’on peut aussi faire une musique chaude genre coupé décalé avec les animations bikutsi. J’y ai ajouté quelques frappes de batteries style ndombolo qui résonnent comme l’ékan. Je trouve cela très réussi.
A quand la sortie de l’album ?
Je ne me précipite pas. Je ne l’ai pas terminé. Quand un artiste prépare un album, c’est un peu comme quand un chef cuisinier décide de créer ses plats. Il ne se prononce pas en un jour. Je suis de celles qui prennent du temps pour réaliser un album. La chanson, c’est la seule richesse que j’ai héritée de ma maman. D’ailleurs, mes oncles et tantes m’ont souvent dit que chaque fois que je chante, c’est la voix de ma mère qu’ils entendent et ils se mettent à pleurer. Pour le moment, je me tiens un peu à l’écart de l’album. J’aide des filles qui sont en train de composer. A mon avis, il ne faut pas se précipiter. Je suis encore en studio. Par ailleurs, la sortie de l’album prend un peu de temps parce que j’aimerais sortir au même moment la version audio et vidéo.
Pouvez-vous nous en livrer en avant-première quelques saveurs ?
Comme toujours, ce sera un album de douze titres. Dix chansons et deux intro. Le premier titre, "Donné donné", raconte l’histoire d’une femme. Une femme qui a tout donné, qui a toujours été là pour son mari sans rien recevoir et à la fin, elle s’en est rendue compte. Elle a fait dix enfants à son mari et leur donnait à chaque fois des noms de parents du mari sans jamais penser à le faire dans sa famille également. Dévouée à son mari, il lui demande de partir un jour, parce qu’il en a marre. C’est là que la dame se fâche et dit à son mari : "si tu veux que je parte, remets moi ma jeunesse, mon sourire parce que quand on n’a pas de sourire on n’a pas d’éclat, remets moi ma beauté, remets mes enfants dans mon ventre, va ressusciter mes parents". Elle estime en effet que son mari a exploité sa jeunesse et la laisse tomber. C’est une histoire que j’ai vécue dans mon entourage. Un couple qui a passé trente ans ensemble et qui décide de divorcer, c’est triste et difficile à accepter. Je pense qu’à ce moment, on peut faire des compromis.
Et les autres titres ?
Il y a "Ange", qui est le nom de ma sœur aînée, "Ma vie", "Oloun" (la colère) qui sont en bikutsi. Cette dernière chanson est en effet la colère d’un artiste face à la piraterie. Car, quand j’imagine le nombre de mes Cd piratés qui sont vendus, je n’arrive pas à manger chez moi, c’est une haine que j’ai dans le cœur.
D’où tirez-vous l’inspiration pour vos chansons que vous rédigez vous-même ?
C’est quelque chose qui est d’abord spirituel. C’est difficile à expliquer. Il m’arrive parfois d’être couchée et de me retrouver en train de composer pendant mon sommeil. J’ai connu beaucoup de tragédies dans ma vie. J’ai perdu mes parents, je me suis retrouvée seule à l’âge où j’avais le plus besoin de ma maman et six ans plus tard j’ai perdu mon papa, j’ai fait mon fils, j’ai deux de mes enfants qui se retrouvent ici avec moi. Quand je vois l’injustice, ça me touche au plus profond de moi. Souvent, ce sont des moments heureux vécus avec des personnes proches qui m’inspirent une chanson. Les chansons viennent du plus profond de mon être. A certains moments, quand je compose une chanson, je me mets dans la peau de quelqu’un d’autre qui aurait vécu l’histoire que je raconte.
Avec votre producteur, avez-vous pris des dispositions pour que la distribution soit mieux organisée ?
J’ai fait une proposition à mon producteur pour créer une sorte de points de vente des disques que l’on louerait à 2000 FCfa. Culture Mboa m’a aussi contactée mais tout cela ne dépend pas de moi. J’ai demandé que l’on me presse des Cd mais ça traîne un peu. Je me dis qu’un jour, je verrai les artistes milliardaires au Cameroun. Je sais que je serais alors très vielle, mais je serais très heureuse.
Vous avez changé pratiquement toute l’équipe dans le deuxième album. Est-ce que ce sera également le cas cette fois-ci ?
Pas vraiment. Vous savez, chez moi c’est une question d’aura. Je peux vouloir travailler avec un tel mais je me rends compte que nous n’avons pas le même feeling, je laisse alors tomber et cherche quelqu’un d’autre. Je fais très attention à ces choses-là parce que si en travaillant avec quelqu’un vos auras ne rentrent pas en synergie, c’est sûr que l’album en pâtira. Pour ce troisième album donc, je vais retravailler avec mon tonton Christian Nguini qui est mon arrangeur. Il a travaillé dans mon premier album ensuite dans le deuxième. C’est à lui que j’ai demandé de faire venir des percussionnistes qui vont m’accompagner dans cet album. Je garde le producteur avec lequel j’ai travaillé sur "Trahison" à savoir Jps.
Avez-vous une pression quelconque du producteur pour cet album ?
Je ne suis pas employée du producteur et tous les artistes doivent comprendre cela. Je suis partenaire du producteur. Je ne marche pas à son rythme c’est lui plutôt qui devrait marcher à mon rythme, car si je lui livre du mauvais travail, cela aura un mauvais impact pour sa boîte. C’est pour cette raison qu’il me laisse travailler sans pression. C’est pour cela d’ailleurs que j’ai décidé de sortir mon album l’année prochaine.
Quand vous écoutez ce que vous avez déjà fait, est-ce que pour vous c’est loin de votre inspiration de départ ?
Oui, je n’écris pas mes chansons. Elles me viennent d’un coup. Et je vais au studio d’enregistrement ou je vais chez le père de ma fille, je lui demande d’ouvrir une piste et il m’enregistre. En studio, j’ai beaucoup à dire et souvent, je n’enregistre pas tout. Mes chansons, je les écoute juste quand je viens de les enregistrer et après je n’écoute plus sinon, j’ai tendance à reconduire les mêmes mélodies.
Vous évoquez beaucoup Sally Nyollo ; vous avez de l’admiration pour elle ?
J’aime sa personnalité. Elle est naturelle. Elle est allée en Europe à 12 ans et a su garder l’accent Eton. Elle chante de très belles fables que nos parents nous racontaient le soir avant le coucher et cela donne envie de bien chanter. Elle a su conquérir l’international et elle a su faire des fusions. Contrairement à ce qu’on peut penser, ce n’est pas facile.
Ces trois dernières années, les artistes de bikutsi ont reçu les premiers prix dans les compétitions musicales. Ce qui fait penser à quelques-uns que nous tirons vers la fin du règne du makossa. Un avis que vous ne partagez pas vraiment…
Je ne vois pas les choses de cette façon en effet. Avant toute chose, je demande d’abord à mes frères, pères et sœurs qui font dans le bikusti d’avoir un cœur de pardon parce que ce qui fait la perte du bikutsi c’est que le chanteur de bikutsi a mauvais cœur. Quand on y regarde de près, la plupart des décès d’artistes dans notre environnement sont souvent dus à l’empoisonnement. Ce qui est très rare chez les artistes de makossa qui, malgré tout, sont très solidaires. Ils essaient de se prendre au sérieux tandis que les chanteurs de bikutsi ne se respectent pas et préfèrent les coups bas. Quand je dis que le makossa est très avancé par rapport au Bikutsi, on se rend compte que c’est parce que le makossa est connu bien avant le bikutsi. Les artistes makossa ont vite compris l’esprit du show-biz mais pendant que les Ekambi Brillant, Manu Dibango et autres se battaient pour se faire un nom, je suis désolée, nos aînés passaient leur temps à se saouler la gueule. Il m’a été rapporté plusieurs fois que lorsqu’ils étaient souvent invités dans de grandes manifestations, il arrivait qu’après avoir pris des cachets, ils se contentaient de boire et au moment de prester, s’écroulaient parce que ivres. Par ailleurs, je me souviens que chez mes parents, on n’écoutait que le makossa, le bikutsi étant interdit. Si aujourd’hui sur trois ans on a les meilleures mélodies ce n’est pas pour autant que l’on va dire que nous sommes les plus forts car avant cela, c’était le makossa qui tirait la musique camerounaise vers les sommets. Je me dis que c’est juste un pas en avant pour le bikutsi, il faut encore travailler parce qu’au niveau international, le makossa est loin devant.
On vous annonce en spectacle dans plusieurs pays d’Europe dès samedi…
Je vais aujourd’hui en France, et le 08 je vais prester en Allemagne. Le second spectacle est prévu le 14 avec Petit pays en France, un autre le 15 en Suisse et le 22 je reviens en Allemagne. Le 29 je serai en spectacle en Belgique et le 05 septembre je preste au Canada. Ce programme peut éventuellement subir des modifications. Ce sera dans de petites salles de 2000 places mais qui accueillent souvent le double.
Depuis que vous faites les tournées, qu’est-ce que vous en avez tirées ?
Ça m’a permis de savoir que la musique est universelle. Je prends un exemple ; pendant un spectacle, j’ai rencontré une Sénégalaise qui chantait toutes mes chansons bien qu’elle ne sache pas ce que cela signifie. Ça m’a beaucoup fait plaisir et c’est pour cela que j’ai envie d’ajouter des sonorités venues d’ailleurs à mes chansons pour remercier ces personnes qui m’ont également aidée. Le plus que cela m’a apporté est que je ne dois plus faire le bikutsi uniquement pour les Camerounais ; je dois le faire pour tout le monde.
Propos recueillis par Dorine Ekwè(Mutations)