samedi 7 mai 2011
Il y a quelques mois, la présidente de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, de passage au Cameroun, invitée par le gouvernement, a rendu un jugement à la Salomon au vu de ce qu’elle a constaté. Pour elle, la situation n’est “ ni rose ni morose ”. Mme Alapini n’est pas à condamner. Elle n’aura vu et entendu que ce que ses hôtes lui ont servi sur un plateau en argent. De notre point de vue, la situation n’est pas si noire que cela. Mais c’est la grisaille. Sinon comment expliquer cette censure qui sévit depuis quelques jours sur des projections cinématographiques sur tout ce qui a trait aux droits de l’Homme au Cameroun ?
Le 11 avril 2011, le préfet du Mfoundi a interdit la projection dans la capitale d’un festival international du film sur les droits de l’Homme. Quelques jours plus tard, la “ banane ”, un autre film sur les conditions de travail dans les bananeraies de Penja est aussi tombé sous les ciseaux de dame Anastasie, grossièrement manipulés par le sous-préfet de Yaoundé Ier.
Le 22 avril, à 6 heures du matin, le commissaire de la sécurité publique de Mbandjock, dans le département de la Haute Sanaga a interpellé et gardé à vue pendant 12 heures (de 7h à 19h), deux réalisateurs français : Vincent Mercier et Mélanie Barreau et leur accompagnateur camerounais.
Les deux Français sont venus au Cameroun pour le tournage d’un documentaire sur la Société sucrière du Cameroun (Sosucam). En effet, un conflit foncier oppose cette entreprise aux riverains autochtones. L’entreprise accuse les réalisateurs de “ tentative d’espionnage économique ” et “ d’atteinte à l’ordre public ” (Niaiseux ) ! L’accusateur pousse la bêtise au point de reprocher aux cinéastes de ne pas disposer d’autorisation de filmer. Ce qui s’avère farfelu dès lors que Vincent Mercier exhibe le reçu de paiement d’une somme de 25 000 Fcfa versée à la direction de la cinématographie du ministère de la Culture. Document qui confère ainsi une autorisation provisoire. Il faut relever que c’est ce même Vincent Mercier qui est l’un des promoteurs du festival du film sur les droits de l’Homme interdit par le préfet du Mfoundi. Comme dégât collatéral, M. Francis Wang Sonè, directeur de la cinématographie au ministère de la Culture écope d’une suspension de ses fonctions à la suite d’une décision signée de la ministre Ama Tutu Muna pour “ indélicatesse et manquement à la déontologie ”. Réaction du maître qui veut noyer son chien.
Il faut aussi relever que la “ Banane ” comme la “ Sosucam ” s’intéresse aux conditions de travail dignes de celles des esclaves africains dans les plantations industrielles des Etats-Unis. Au Cameroun de nos jours, la rémunération de ces ouvriers agricoles est des plus dérisoires. “ La moyenne étant de 25 000 Fcfa par mois pour un travail à la tâche et non à l’heure ”, précise le dossier de presse produit par Franck Bieleu, le réalisateur de la Banane. A cette forme de traite instituée par les nouveaux négriers avec la complicité active des autorités de l’Etat s’ajoutent les risques sanitaires et environnementaux qui, il y a quelques années, ont fait l’objet de reportages du quotidien français Le Monde et de la chaîne Rfo.
Comme si cela ne suffisait pas, les plantations industrielles camerounaises étendent leurs superficies au détriment des petits exploitants locaux avec la complicité non moins cynique des élites locales, des élus régionaux et nationaux. D’où l’interventionnisme intempestif des autorités administratives obéissant au doigt et à l’œil comme des chiens domestiques. Sinon qu’y a-t-il à cacher sous les bananiers et les cannes à sucre ? Pour quels intérêts ces autorités défendraient-elles avec autant de zèle des multinationales qui s’engraissent chez nous comme des puces et des chiques sur des bêtes ? Qui ignore que Paul-Eric Kinguè, l’ex-maire de Njombè-Penja, paie de sa liberté le fait d’avoir dénoncé le pillage exercé dans sa municipalité voire, dans tout le département du Moungo par ces multinationales ? Paient-elles seulement les impôts au prorata de leur chiffre d’affaires ?
La censure qui frappe les films ayant trait au déni des droits humains perpétré par ces entreprises traduit la collusion qui existe entre elles et les élites dont nous parlons plus haut. Si Vincent Mercier et Mélanie Barreau ont échappé au triste sort de Paul-Eric Kinguè, c’est d’abord parce qu’ils sont des expatriés et aussi parce que le procureur de la République de Nanga Eboko devant qui ils ont été présentés n’a pas trouvé de “ raison fondée” de les inculper et de les jeter en prison. Il y en a encore qui sont capables de faire correctement leur travail. Hélas, ils ne sont qu’une poignée de sel dans un vaste marécage.
Quand on sait que le ministre camerounais de la Communication , porte-parole du gouvernement, a quand même pu développer des arguties pour justifier l’interdiction du festival du film sur les droits de l’Homme et que son homologue du Travail et de la sécurité sociale “ Monsieur dialogue social ” n’a jamais mis les pieds dans les plantations de Njombé-Penja pour voir un peu les misères de ses compatriotes qui font les choux gras des médias étrangers, on ne serait pas fier d’être Camerounais. Il n’est pas moins vrai que sous le fallacieux prétexte de promouvoir les emplois, on livre des travailleurs camerounais, pieds et poings liés, à la cupidité des investisseurs de tout poil.
C’est bien de pomper l’air aux gens avec la modernisation de l’Hôpital Saint-Jean de Malte de Njombé ; sépulcre blanchi que tout cela. Sous ces cendres-là rougissent des braises incandescentes. Non ! la paix avec laquelle on nous bassine les oreilles cache mille et une frustrations qui sont comme ces nombreuses rivières qui font des océans desquels surgissent de plus en plus les tsunamis. On peut dissimuler les maladies, mais pas le cercueil et les obsèques quand survient la mort.
Par Jacques Doo Bell(Le Messager)