vendredi 4 avril 2014
Je suis de ceux qui se sont demandés lundi à la suite de l’incarcération du ministre Louis Bapès Bapès ce qui arrive à ce pays. Un pays où du capitole à la Roche tarpéienne, on descend à une vitesse vertigineuse.
Combien de ministres dont un Premier, chef du gouvernement, de hauts fonctionnaires et directeurs généraux croupissent aujourd’hui dans nos prisons ? Même le très officiel Cameroon Tribune, dont la directrice de publication serine de temps à autre les leçons d’éthique et de déontologie journalistique à une « certaine presse » n’a pas mis les gants pour titrer à la une « Atteinte à la fortune publique : Bapès Bapès à Kondengui ». Le pauvre ! Il n’a même pas bénéficié de la présomption d’innocence. La cause était déjà entendue. Requiem pour un damné. Un de plus. En attendant d’autres. Dans son sillage, un confrère a publié une longue liste de ceux qui seront bientôt embarqués dans ce train d’enfer. Même si, contrairement à tous les autres, Louis Bapès Bapès a été tiré des mailles du filet 24 heures après cette mésaventure, le ministre Issa Tchiroma Bakary, porte-parole auto-proclamé du gouvernement, toute honte bue a fait savoir à l’opinion que ce n’est que partie remise « le dossier suit son cours. »
Sous le renouveau, on ne perd rien à attendre. Entre le jour où Paul Biya à dit à Roger Milla : « je vous verrai ! » combien de temps le lion émérite a-t-il attendu pour être nommé ambassadeur itinérant ? Le sort des prévaricateurs de la fortune publique n’est pas très différent. Le même Paul Biya à juré qu’ils seront traqués et rendront gorge. En attendant chacun son jour fatidique, ils vivent leur purgatoire sur terre. Louis Bapès Bapès en sait quelque chose. Lui qui a attendu depuis 2010 ; lorsque sa collaboratrice Catherine Abena, alors, Secrétaire d’Etat auprès du ministre des Enseignements secondaires a été interpellée et coffrée plus d’un an. Tout en criant son innocence. Puis un jour elle a été remise en liberté comme elle a été jetée dans le trou.
Si on a applaudi cette opération « main propre » ou « épervier », ses méthodes, au jour le jour sont sujettes à caution et laissent, perplexes, les femmes et hommes ordinaires que nous sommes. Entre le moment où une certaine presse – encore et toujours elle – annonce le crépuscule des damnés et le jour où tombe effectivement ce crépuscule, les vrais voleurs n’ont-ils pas le temps de se remplir poches et besaces et décamper ? Dans les années 60-70, il y a eu bien une opération similaire dans ce pays. Les suspects étaient bien pris, jugés et condamnés. Parmi eux, figurait un dont le frère aîné et l’oncle étaient des très proches collaborateurs du président Ahidjo. Le mis en cause lui-même était marié à une Française de bonne famille.
Apres la 8e coupe d’Afrique des nations de football que le Cameroun a organisée et perdue, les présumés « détourneurs » de fonds publics mêlés à cet événement ont tous été pris à la fois et jugés, condamnés ou relaxés. Personne n’a vu l’épée de Damoclès au-dessus de sa tête pendant des années. La justice n’a pas été jugée ni expéditive, ni à tête chercheuse. Contrairement à ce qui se passe aujourd’hui où ces affaires ne laissent pas notre justice indemne. L’affaire Bapès Bapès est venue davantage enfoncer cette justice. Hélas ! Il n’y a pas que notre justice pour accuser le coup. Pour le petit peuple, tous nos dirigeants sont des prisonniers en sursis, parce que tous « voleurs ».
L’opulence affichée par nombre d’entre eux éclabousse tout le système. Pendant des années, Paul Biya a recherché les preuves. En vain. Quand il a commencé à les amasser sur les uns et les autres, on a l’impression qu’au Cameroun, on n’a plus le sens de l’honneur et de la dignité. Ce qui veut dire que même le créateur n’est pas à l’abri de la suspicion ; mieux de la critique. L’élite camerounaise est-elle donc à l’image de la caverne d’Ali Baba ? Alors un proverbe bien de chez nous dit que le bateau négrier ne prend le large que lorsque le maître y prend place.
L’ubuesque interpellation de Louis Bapès Bapès, le ministre des Enseignements secondaires au lendemain des obsèques de Charles Ateba Eyene, le « Jean-Baptiste du Renouveau », cette voix qui criait dans le désert, devrait inspirer nombre d’entre nous. Parce qu’il a passé son temps à fustiger les dérives de cette classe dirigeante qui spolie les masses populaires ; ces dernières ont déifié Ateba Eyene comme elles ont hué et conspué les seconds couteaux qui ont daigné assister à ses obsèques. Et c’est mon confrère André-Parfait Bell qui, dans ces mêmes colonnes, à la page 8 de mercredi 2 avril, attendait encore du défunt de savoir « comment le créateur a pu à ce point faire des créatures qui ne sont pas à son image… ».
La déchéance de Loiuis Bapès Bapès - c’en est bien une - est semblable à la chute du gland, ce fruit de chêne qui fit courir tout le monde animal avant qu’on se rende compte qu’il ne s’agit pas de la fin du monde. La preuve, Louis Bapès Bapès, écarté de son fauteuil de ministre des Enseignements secondaires, ce fauteuil est resté vide pendant plus de24 heures. Comme si le créateur voulait dire à toutes ses créatures que les rouages étatiques, même sans une présence humaine, n’arrêtaient pas la marche de la nation. Tant qu’il est lui-même et seul aux commandes. La déchéance, disons-nous, de ce membre du gouvernement n’est venue que confirmer qu’au sommet de l’Etat, le chef ne contrôle presque plus rien. Il est réduit de temps à autres à rattraper quelques frasques de la valetaille qui le tient en otage. Elle confirme par ailleurs que de la fonction ministérielle, il n’en reste que des oripeaux. Ailleurs, M. Bapès Bapès, aurait tout simplement démissionné, pour se mettre à la disposition de la justice. Ce qui s’est passé confirme par ailleurs la main mise de l’exécutif sur ce qu’on appelle pompeusement le pouvoir judiciaire. Sinon pourquoi est-ce que c’est le ministre de la communication qui va laver le linge sale des procureurs ? Il appartenait à la chancellerie de le faire. Qui peut –on convaincre que le chef de l’Etat n’a pas eu la haute main dans cette mauvaise affaire. Une de plus qui n’a pas été montée de toutes pièces par « une certaine presse »pour ternir l’image de marque du pouvoir ? C’est vraiment le commencement de la fin comme l’a dit quelqu’un en parlant de celle de l’Empire.