“ Harmonie et tolérance ” ou tranquillité ?

“ Le Cameroun est un pays tolérant. Ça fait presque six mois que je suis ici, j’ai eu le privilège de visiter sept des dix régions du Cameroun. Les populations vivent bien ensemble et donnent un bel exemple d’harmonie et de tolérance. Je crois que cet exemple doit constituer un modèle pour la Côte d’Ivoire de la Libye ”. Ces propos sont de l’Ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun, M Robert P. Jackson, qui venait de s’entretenir avec M. Biya, le 25 mars 2011, au sujet de la situation en Libye et en Côte d’Ivoire. Situation dont le Cameroun ne peut être en vérité épargné, en cette année électorale, que grâce à la peur que les Camerounais ont effectivement de perdre ce qui apparaît aux yeux du diplomate comme harmonie et tolérance, et qui n’est en réalité que la tranquillité.

Le Camerounais montre qu’il a besoin de tranquillité pour chercher à manger. C’est un ventre affamé qui n’a point d’oreille. Ou qui n’en a plus que pour entendre le sifflement des balles militaires. Ce qui procède, comme la recherche de la nourriture, de l’instinct de survie. Le Camerounais ne se voit pas d’avenir parce que depuis 50 ans il est habitué à manger et à laisser les autres gérer son destin.

Le Cameroun est à sept mois d’une élection présidentielle qui aurait pu être considérée comme cruciale au regard du contexte contemporain, et il n’y pas d’autre frémissement politique dans le pays que les deux campagnes mensongères pour la candidature de M. Biya qui est pourtant déjà le candidat naturel de son parti, et pour l’inscription à tête chercheuse des citoyens sur les listes électorales. Voici un pays, le seul au monde probablement, où l’administration républicaine demande à chaque politique d’aller inscrire sa part d’électeurs sur les listes électorales, au point de persuader les citoyens que le président de la République n’étant élu que par les militants de son parti, ceux qui n’ont pas de parti ou qui sont militants de petits partis, n’ont rien à faire dans les urnes.

Ceux qui, comme le diplomate américain, émettent un jugement définitif sur les Camerounais après les avoir côtoyés quelques semaines, ont une illusion d’optique. Les Camerounais vivent encore bien plus que d’autres Africains, les séquelles des quatre siècles de traite, de colonisation, de travaux forcés et de décolonisation dolosive d’où ils sont sortis culturellement déracinés et politiquement asservis, spoliés de leur capacité d’ambition humaine, et de leur créativité. Ce n’est pas par hasard si ce pays, second potentiel hydroélectrique de l’Afrique, est toujours incapable, après 50 ans d’indépendance, de fournir 12 heures d’énergie électrique à seulement 30% d’une population de 20 millions d’habitants.

L’option de chercher tranquillement sa pitance a rivé les yeux et l’énergie des Camerounais sur leur nombril, à l’exclusion de toute préoccupation politique considérée comme dangereuse, et qui plus est en régime prétendument démocratique. Le néocolonialisme gouvernant semble avoir établi une fois pour toute que le citoyen ne peut se mêler de politique que pour approuver ce qui lui est imposé. C’est-à-dire, sans possibilité de s’opposer aux professionnels du pouvoir à qui les prérogatives et moyens de l’Etat permettent de priver de vie ou de nourriture tous ceux qui justement s’opposent à eux.

Les Camerounais ne s’inscrivent pas sur les listes électorales parce qu’ils savent par expérience que la victoire du parti au pouvoir étant acquise d’avance, il ne servira à rien d’aller voter. Et ils savent ou pensent que la victoire de l’organisateur est acquise d’avance, parce que le gouvernement du parti au pouvoir fait tout, aussi ostensiblement que s’il voulait persuader tout le monde qu’il en sera ainsi et pas autrement. Le peuple camerounais en est un qui n’a pas d’autre choix que celui de la tranquillité, parce que les tenants actuels du pouvoir ont déjà montré que le cas échéant, ils n’hésiteraient pas à gouverner une terre brûlée…

La comparaison entre le Cameroun d’une part, la Libye et la Côte d’Ivoire d’autre part, montre que le diplomate américain ne connaît pas encore le proverbe africain qui veut que “ celui qui n’a pas encore atteint l’autre rive ne rit pas de celui qui se noie ”. L’ambassadeur Jackson devrait donc plutôt s’interroger sur ce calme étrange des politiciens qui, à sept mois d’une élection présidentielle (qui chez eux se prépare en deux), font comme si, soit il y aura une élection sans candidat, soit il n’y aura qu’un vainqueur déjà connu. Et comment l’ambassadeur d’un pays qui sait plus que tout autre qu’on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps, fût-ce avec la nourriture et la corruption, fait-il pour savoir que l’après élection présidentielle au Cameroun ne sera pas comme en Côte d’Ivoire ? Celui qui a modifié la constitution pour pouvoir se représenter peut-il logiquement accepter de partir s’il perd dans les urnes ? Question d’ailleurs idiote de ma part, s’il est vraiment écrit, comme l’ont toujours dit les présidents Bongo et Sassou (paix à l’âme du premier !), qu’on n’organise pas une élection pour la perdre.

La seule différence de scénario, c’est que quand la communauté internationale interviendra, personne ne poussera des cris circonstanciels de panafricanisme et de souveraineté nationale pour l’effrayer dans sa “ protection (douteuse) des populations ” et son “ instauration (incertaine) de la démocratie ”

Par Jean Baptiste SIPA(Le Messager)