mardi 5 avril 2011
Dans le sillage de la rentrée parlementaire de mars 2011, le président de l’Assemblée nationale (Pan) du Cameroun vient d’être reconduit sans coup férir par ses pairs au perchoir de l’auguste institution que représente la Chambre des représentants du peuple. Cavaye, puisqu’il s’agit de lui, entame sa 19ème année de législature en tant que deuxième personnalité de la République. C ’est un record, signe de vitalité et de dextérité politique diront ses thuriféraires patentés ; signe d’inertie et de conservatisme désuet rétorqueront ses détracteurs les plus ténus. La longévité de ce “ patriarche politique ” qui traîne derrière près de quarante ans de vie parlementaire sans avoir démontré le manège ni la “ professionnalité ” d’un tel cumul, déconcerte plus qu’elle ne peut conforter les esprits les plus attentifs de la scène politique camerounaise hier comme aujourd’hui. Il est communément admis, particulièrement dans l’histoire de grands hommes comme de Gaulle ou Mao, Ghandi ou Churchill, Um Nyobè ou Lumumba, qu’il existe des qualités dont un acteur de l’histoire (politique) doit faire montre, doit au moins pouvoir révéler sinon dévoiler au gré des circonstances et des aléas qui crépitent sur le terrain politique d’ici et d’ailleurs. Et Cavaye, où sont ses qualités, ses traits distinctifs, ses lignes de caractérisation, l’opium qui le définit et le démarque comme d’une entité singulière et particulière. Cavaye est-il acteur, peut-il se donner un nom qui va au-delà de la conjoncture politique, de l’environnement institutionnel, de périmètre idéologique de l’appareil politique (Rdpc) qui le porte depuis plusieurs décennies pour en faire un poids sans mesure, un personnage sans cran, un homme politique sans base sociologique avérée.
Voici que se déroule le visage d’un homme qui est entré dans l’histoire presque par effraction, par accident pour emprunter le langage courant. Cavaye n’est ni un révolutionnaire ni un visionnaire, son histoire ne peut nous révéler ses hauts faits ou ses faits d’armes, il n’a pas marqué son temps à la manière de Muna, ni de Foncha, ni de Ahmadou Ahidjo dont il peut se targuer aujourd’hui d’être l’un des “ aliénés culturels ” les plus achevés dans la population kirdi. Cavaye a son histoire qui n’en est pas une, il a sa trajectoire qui est loin d’être extraordinaire ni même ordinaire, il a une identité qui est à la fois rugueuse, fugueuse et finalement confuse et diffuse. C’est en tout cas comme cela qu’il convient désormais de lire dans les lignes de ceux qui ne l’ont pas cerné jusqu’à date. En commençant par son mentor, Biya de qui il tire une légitimé terriblement institutionnelle qu’il porte et transpose où il veut comme il l’entend. “ Je ne suis pas député comme les autres, c’est Dieu qui a voulu que je sois où je suis aujourd’hui. Je poursuis aveuglement mon destin. Je ne peux me consacrer ni au développement des communautés qui n’ont pas embrassé ma religion ni à une jeunesse qui s’est éduquée contre ma volonté. Je suis grâce de mon Dieu, je partirai quand Il voudra. Pour le moment je prépare l’avenir à mes enfants, qui demain vont me remplacer, j’en suis convaincu ”. C’est du cru. C’est du Cavaye au propre comme au figuré. Et cela lui colle comme un gang. Ce n’est surtout pas le théologien Jean-Marc Ela, de regrettée mémoire, qui démentira ses “ faits historiques ” dont il a lui-même fait les frais tragiques. Pour avoir ouvert les yeux aux Montagnards de Tokombéré, c’est sur la pointe de ses pieds qu’Ela partit de cette région à qui il a tout donné sans avoir jamais rien reçu en retour, si ce n’est la “ trahison des hommes ”. Le Foyer Aimé Césaire (Fac) qu’il créa en 1983 lui attira des ennuis retors de la part de l’administration locale dont Cavaye, alors député et potentat traditionnel du coin, était le bras séculier, pour réduire au silence toutes les voix dissonantes et subversives.
De ce temps qui n’est pas vraiment loin, Cavaye en a hérité l’essentiel en termes de pratiques, de méthodes, d’idéologie, de logiques, de valeurs et de codes. Il en perpétue aujourd’hui l’orientation sous les dehors d’une reconversion apparente, mais difficilement assumée jusqu’au bout du mouvement. Cavaye gère l’An comme la chefferie Mada de son village Kolkoch. Il cloue au pilori toute hétérodoxie. Il s’est assaisonné aux pratiques légitimistes, unanimistes et distorsionnaires. De son royaume comme à l’Assemblée nationale, il ne veut voir s’élever des voix allant à l’encontre de son pouvoir démesuré ni de ses désirs éternitaires à être aux premières loges de la commande. Il veut garder la main mise sur une institution républicaine sans se voiler derrière un discours aux vertus démocratiques. Il sonne, assone et détonne pour imposer l’atonie dans l’hémicycle à chaque session. Des secrétaires généraux à l’An comme Michel Meva’a Meboutou, Samson Ename Ename et Claude Nyassa en ont fait l’amère expérience, juste pour avoir tenté la restauration de l’ordre managérial dans une institution républicaine. Le combat entre Cavaye et Adama Modi au début de la législature de 2007 relève de conflit entre deux valeurs antithétiques, deux codes opposés, deux logiques vibrant aux antipodes. Cavaye et Adama Modi, c’est la nuit et le jour. Cela a échappé aux défenseurs de la thèse de complot contre le Rdpc et son leader. Cela n’a pas été suffisamment expliqué par les analystes empressés de notre société politique. Et cela a conforté Cavaye dans sa tradition à avoir raison face à ceux qui se dressent contre lui. Et pourtant, entre lui et Modi, il y a un parallélisme ontologique qu’il faut établir. Modi est à la fois un député rompu à la tâche de l’action concrète et efficace sur son propre terrain politique ; Cavaye est le député toujours imposé par l’appareil qu’est le Rdpc et qui a fait du sous-développement à la base le credo de sa politique qui tue et plonge le peuple dans le précipice. Une élection organisée à la régulière peut débouter Cavaye d’un trait quelle que soit l’étoffe de l’adversaire en face et quelle que soit la formation politique concurrente. Cavaye est conscient de son incapacité à sortir victorieux des urnes à l’issue d’une élection libre et transparente. C’est tout le paradoxe même d’un homme politique qui s’est toujours servi de la légitimité populaire, alors qu’il ne peut donner le gage d’une telle adhésion autour de sa personne. Le Rdpc prendra-t-il un jour le risque de livrer l’inamovible député aux aléas d’une compétition politique démocratiquement cadrée. Attendons de voir. Mais déjà l’atmosphère politique à Tokombéré est à la surchauffe. Une certaine élite intellectuelle du coin est même dans la ligne de mire de Cavaye qui est parvenu à satelliser la politique en mettant en place un système de renseignement qui fonctionne à la Goulag depuis son village Kolkoch jusqu’à sa résidence officielle de Ngoa-Nkellé (Yaoundé). L’esplanade de son cabinet s’est vite érigé en faada (cour propre aux lamidats du Nord Cameroun) où courtisans et laudateurs rivalisent d’intrigues, de commérages, de chantage, de coups fourrés et de mensonges de toutes sortes.
Cavaye aime voir le peuple plonger dans la dèche, la crasse et la traque de la misère abjecte. C’est la base même de la politique qu’il mène dans sa localité depuis 40 ans. Les récriminations à son encontre exprimées véhément et régulièrement par l’ensemble des populations locales sont à mettre sur le compte de l’absence des services sociaux de base, de l’investissement dans le social. A titre de rappel, Tokombéré est le seul arrondissement de département du Mayo-Sava qui n’a pas de points d’eau potable, qui manque de route praticable en toute saison, et dont les populations doivent se terrer dans leurs domiciles à la venue de la nuit faute d’électrification dans leur cité, etc. Les villages environnants ne savent même pas qu’ils ont un représentant à l’Assemblée nationale. Cavaye a réussi à garder une distance emmurée entre lui et ses “ électeurs ? ” de qui il n’attend par ailleurs que soumission, génuflexion et assujettissement, comme au moyen-âge. Il s’en régale et s’en réjouit démesurément, à la manière d’Ubu ; il pratique ainsi une politique de nuisance, de la torture et de matraquage psychologique. Il a pu édifier dans son environnement politique un climat de terreur qui irrigue la conscience des populations et conditionne leurs comportements. Toute l’élite locale est aux abois, frappée et anesthésiée par la boulimie d’un homme qui s’est doté du don de l’ubiquité. Il veut régner sans élégance, tout régenter et non être au service de qui que ce soit ni de quelque cause de portée collective. Il veut être craint plutôt qu’aimé. Elève assidu d’un certain Machiavel qu’il n’a jamais lu (ne disposant pas de capacité intellectuelle requise), il commande par la ruse, la malice et la traque.
Les élections législatives de 1997 dans son village de Kolkoch ont régulièrement reposé sur des pratiques de violence, de la déshumanisation et de la violation des droits de l’homme. Les prêtres s’en étaient alors émus sans que les choses n’aient pu vraiment changer. L’on évoqua même l’exil de plusieurs dizaines des Mada dans les contrées lointaines. Celles de 2002 se sont déroulées dans une atmosphère de pratiques maffieuses voire mystiques. Pour décourager toute adversité à son encontre, Cavaye fit venir un puissant marabout depuis le Sénégal. Sous l’effet de ses incantations, un violent tourbillon se produisit et provoqua les coupures de courant dans toute la cité. Dans l’imbroglio instauré, Cavaye s’empara des procès verbaux qui furent par la suite falsifiés et tripatouillés. Celles de 2007 ont donné lieu à une véritable levée de boucliers chez les jeunes et une bonne partie des populations devenues frondeuses. Dans certaines localités, l’opposition connut une avancée remarquable. Et Cavaye, l’éternel député, dut essuyer des litres de sueurs à l’annonce des résultats. A-t-il alors compris le sens d’une telle déroute électorale exprimée par cette population qu’il a paupérisée en détournant les microprojets parlementaires et en la maintenant dans la pauvreté exécrable ? Doit-on désormais parler de la malédiction Cavaye avec tout ce qu’il va laisser à la postérité en terme d’héritage passif, sans que même ni son armée de progénitures ni ses défenseurs zélés, encore moins le système qui le porte en soient vraiment à mesure d’en assumer la pérennité, de s’en réclamer garants et ayant-droits. Le procès de cet homme se fait aujourd’hui dans la presse nationale et à travers l’ensemble des récriminations dont il est désormais sujet.
A Tokombéré comme ailleurs dans la région du septentrion, personne ne veut se prévaloir d’être comptable des agissements et des multiples forfaitures de Cavaye, alors même qu’il ne brille pas par une fidélité sincère pour son mentor Biya. Sinon comment comprendre que “ L’appel du peuple ” qui en est aujourd’hui au troisième volume ne porte pas une “ Motion de soutien au chef de l’Etat ” venant de sa localité électorale qu’est Tokombéré, alors que Cavaye peut donner le gage d’un ralliement quasi automatique des chefs traditionnels de Mayo-Sava (voir Tribune bilingue, n° 030 du 23 février 2011) dans une région où l’électorat est constitué à plus de 80 % des populations non-musulmanes et montagnardes. Entre Cavaye et les chefs traditionnels règne une relation de clientélisme et de marchandage. Cavaye, qui est par ailleurs président de l’Association des chefs traditionnels de Mayo-Sava a réussi à s’aliéner la liberté et la marge de manœuvre de ces derniers. A ceux-ci, Cavaye envoie prébendes et pécules. C’est la seule composante sociale sur qui il s’appuie pour se donner une légitimité forcée et arrachée à la hussarde. Pas plus. Oublie-t-il qu’il vogue en démocratie et que seul le peuple est la source de la légitimé authentique et durable ? Pourquoi celui qui se réclame de la “ politique du Renouveau national ” peut-il vouer une haine si viscérale à son électorat ? Actuellement, il circule l’information selon laquelle Cavaye, au lieu de faire une route qui peut servir toute la population de Tokombéré, veut au contraire prendre du raccourci en montant juste une bretelle qui débouche au nez de sa résidence “ privée ” à Kolkoch, son village natal. Quel égoïsme congénital serait-on tenté de se demander ? Que non, il faut connaître l’homme, son histoire, son idéologie, son idiosyncrasie. Doit-on désormais le comparer à Mobutu, “ roi du Zaïre ”, qui après 32 ans de pouvoir sans partage partit du pouvoir sans avoir laissé ni eau, ni électricité, ni route viable dans son village Gbadolité ? Cavaye est-il à psychanalyser ? Une telle interrogation n’est pas provocatrice. Le cas Cavaye fait déjà école dans les commentaires d’ici et de là-bas. Les historiens ont déjà de la matière pour leurs méninges. Personne ne comprend, à commencer par ses multiples progénitures et ses défenseurs zélés, pourquoi ce personnage voue-t-il une telle aversion à son entourage au point d’en faire une race-crasse, sans dignité ni identité ? 19 ans comme président de l’Assemblée nationale, comme deuxième personnalité de la République , pour quel bilan ?
Récemment, la presse nationale (Le jour, n° 861 du 25 janvier 2011 ; Météo hebdo, n° 325 du 31 janvier 2011) révélait que Cavaye a pu “ caser ” onze de ses enfants à l’Enam, que les diplômés originaires du septentrion se seraient fendus dans une lettre envoyée au “ 1er Camerounais ” pour dire leur ras-le-bol devant l’exclusion quasi-systématique dont ils sont régulièrement victimes faute de parrainage ni de copinage ; en 2009, c’est dans un “ mémorandum-brûlot ” (selon L’œil du sahel, juillet 2009) que les montagnards de Mayo-Sava ont craché leur marginalisation dans les politiques publiques(absence d’hydraulique villageoise, de centres de santé, de routes…) depuis que Cavaye est monté aux affaires ; à l’Assemblée nationale, il faut avoir des relations familiales ou matrimoniales avec le Pan pour espérer avoir une “ place juteuse ”. L’environnement là-bas est des plus délétères ; ce sont les intrigues, les commérages, les bavardages de basse échelle, les histoires montées sur épingle juste pour les besoins de la cause. Il faut faire plaisir au “ boss ” puisqu’il s’en régale allègrement. La même atmosphère règne à Tokombéré. Des agents de renseignements sans nom sillonnent les quartiers, les bars, les mosquées, les Eglises, les domiciles privés. Au marché comme dans les lieux de rencontre collective, des individus s’adonnent à cœur joie à un travail de délation qui leur rapporte. Ces individus sans scrupule, ont trouvé un moyen de se rendre utiles et de jouer le beau rôle pour le “ Grand ” de Yaoundé. Et ce service se paie “ cash ”. Puisqu’il faut avoir le contrôle des informations et de ce qui se trame, éventuellement, contre soi.
Le système cavaye fait son bonhomme de chemin depuis 19 ans. Les populations tétanisées et accablées par plusieurs années de misère instituée ne s’imaginent pas un jour son départ, même si cela est souhaité ardemment dans les chaumières. Ses enfants, au parcours scolaire (pour beaucoup) et universitaire (pour quelques uns) sulfureux, peinent aujourd’hui à manifester bruyamment leur rang social, en dépit de la position politique de leur géniteur. Ils font profil bas face à ce que leur père accumule comme forfaits et méfaits. L’un d’eux, peut-être le plus courageux et éventuellement le plus récalcitrant, a pu se demander un jour : “ comment le Pan n’a pas pu donner de l’eau à la population de Tokombéré en tant que deuxième personnalité de la République et représentant du peuple pendant 20 ans ? ”. Celui-ci oublie-t-il seulement que son père n’appartient pas à la génération de ceux qui ont le souci de l’avenir comme un certain Amadou Ali à Kolofata, Zacharie Perevet à Koza ou Pierre Hélé à Kaélé ? Même dans la région de la Benoué où règne l’élite musulmane, les populations kirdi migrantes ont réussi à avoir une place au soleil et font valoir de plus en plus leur importance démographique dans les équilibres politiques. Cette politique de rassemblement et d’intégration de différentes couches socioculturelle est l’œuvre de Marafa Ahmidou Yaya traité à tort comme étant contre les intérêts des kirdi. Cavaye, c’est l’antidote de la politique des “ Grandes Ambitions ” aujourd’hui. Pour masquer tous ses forfaits, il joue au montage d’intrigues et d’histoires ficelées de toutes pièces. Comme cette fictive réunion des élites ayant eu lieu à Maroua en 2007 au sortir des élections couplées (législatives et municipales) de la même année alors que le président de la République s’apprêtait à refaire la géopolitique du pays par un remaniement ministériel imminent, comme aussi cette affaire de rébellion de monts Mandara que la presse nationale et internationale a largement fait échos, comme également la mobilisation forcée des chefs traditionnels de Mayo-Sava qu’il brandit comme un paravent de légitimité chaque fois qu’il se sent en difficulté, etc.
Cavaye est ainsi passé maître dans l’art de la jonglerie de son mentor Paul Biya. Il veut à tout prix, voire à tous les prix montrer patte blanche, alors qu’il est champion dans les détournements des microprojets que le gouvernement finance chaque année à hauteur de 8 millions de Fcfa aux fins de relever le niveau de vie des populations. Une audit dans ce sens peut mettre au jour la mauvaise gouvernance dont le “ Très Honorable ” s’est rendu célèbre dans la gestion des microprojets. Et lorsque celui-ci peut se permettre aujourd’hui de demander des comptes (voir Jour, n° 907 jeudi 31 mars 2011) à ses collègues en matière de gestion des microprojets, on ne peut que douter de la sincérité d’une telle décision. A Tokombéré, où sont les forages construits par le Pan, où est la route praticable en toute saison, où sont les lampadaires qui jonchaient toutes les artères de la cité vers les années 1980 ? En vingt ans, l’arrondissement de Tokombéré n’a pas seulement régressé, il a connu un saut dans l’abîme. Il faudra du temps, de la volonté et surtout des ressources humaines déterminées pour remettre cet arrondissement sur les rails du développement. Pour l’instant, Cavaye peut continuer de tirer ostensiblement sur la corde d’étranglement des populations sans être inquiété, tant qu’il a l’onction de son bienfaiteur. Il peut même narguer son électorat comme il le fait à chaque campagne puisqu’il est sûr au moins d’une chose : son choix ne se fait pas par la volonté du peuple, mais par la volonté d’un homme. Pour lui donc, 2012, c’est déjà dans la poche. Cavaye est président de l’Assemblée nationale du Cameroun, ad vitam aeternam.
Par DJAKWAMAY Jean-Claude(Le Messager)