jeudi 1er janvier 2009
Dans « la planète football burkinabè », se faire rajeunir est un jeu d’enfant. Le résultat est un lot sans cesse grandissant de joueurs aux multiples identités comparables à une redoutable et embarrassante bombe à retardement. Le déballage honorera-t-il le football burkinabé ? Faut-il garder un silence coupable ? Menaces de procès, imbroglio sportif et administratif, fréquence d’accidents sanitaires...le trafic des âges, unanimement condamné au Faso, risque de tuer le football burkinabè.
« J’ai l’impression que certains joueurs à l’image de certains citoyens dans l’ensemble ne veulent pas se contenter d’une seule identité », dixit le commissaire Sawadogo. Le maire de Dafra pense que les faussaires courent d’énormes risques et un jour, ils se feront prendre dans leur propre jeu.
Dans le football, conserver « éternellement » ses jambes de 20 ans est gage de succès. Pour ce faire, des formules pour contourner l’épuisement ou le vieillissement, cette irréversible loi de la nature, ont été initiées. Usage de substances dopantes, rajeunissement miraculeux, etc. chacun y va de sa petite tricherie. « Si vous demandez le matin à un joueur burkinabè de réduire son âge, le soir, il vous ramène un acte de naissance en bonne et due forme » indique Noudjié Traoré, un formateur de footballeurs à Bobo-Dioulasso. A la clé, certains joueurs se retrouvent avec deux, trois, quatre...identités.
Longtemps miné par le phénomène, le sport-roi burkinabè risque gros. Ces identités multiples sont devenues une bombe à retardement qui va, selon nos informations, tôt ou tard exploser. « L’affaire » du fils d’un officier supérieur de l’armée burkinabè en instruction au palais de justice risque d’en être le détonateur. Cet enfant a évolué en sélection cadette sous une identité circonstancielle. Et entre- temps, le garçon renonce au football pour ses études hors du pays.
Pour reconsidérer ses diplômes que le premier passeport a annulés et pour les formalités du voyage il lui faut un nouveau papier d’identité en conformité avec son âge réel. Mais au service des passeports, stupéfaction ! « il n’a droit, tout comme chaque citoyen qu’à un seul et un seul passeport. Il en a déjà », indique le commissaire Sawadogo, chef de service des passeports de l’Office national de l’identification (ONI). L’explication musclée qui s’en est suivie n’a pas amélioré les choses. « Seul le juge peut décider de la suite à donner à cette affaire », déclare le commissaire Sawadogo. Cette affaire, c’est certain, est embarrassante pour les tribunaux.
Ils doivent dire le droit dans une affaire ou le prévenu s’est mis en porte à faux avec la loi poussé par la noble intention de vouloir « servir la cause nationale ». En plus, ce procès, il faut le craindre, sera le premier d’une série tant des affaires similaires existent. Le Rail Club du Kadiogo (RCK), un club de D1 était lui aussi à un poil de faire recours aux tribunaux. En effet, en demi-finale de la Coupe du Faso 2007, le Racing Club de Bobo-Dioulasso (RCB) avait formulé une réserve contre le RCK pour « identité frauduleuse » d’un joueur. Le joueur incriminé étant un transfuge du RCB, la preuve a été vite apportée.
Il « s’était rajeuni » avant d’endosser ses nouvelles couleurs. Mais il se trouve que l’âge du joueur au RCB n’était pas non plus authentique ! Le RCK verse dans son dossier de défense la preuve de cette inexactitude. Refusant le grand déballage, la Commission de litige fédérale sanctionne le RCK qui perd le match sur tapis vert. Très remonté, le RCK décide de prendre rendez-vous avec le juge au risque de donner un coup de pied dans la fourmilière. Mais sous des pressions diverses, le président Amado Traoré rengaine. A la vérité, que pouvait-il réellement ? Sur la question, aucun club n’est innocent.
A preuve, le cas de ce joueur malien « naturalisé » illégalement à Bobo-Dioulasso. En 1996, la mairie de Dafra a fourni un jugement supplétif burkinabé à ce joueur venu monnayer ses talents dans le championnat national. Ironie du sort, selon les révélations de l’ancien secrétaire général de la Fédération, Joseph Zangréyanogo, l’USFRAN en a été la victime et le coupable. « La commission des litiges a pu, en son temps, consulter le procès verbal de l’audience du Tribunal départemental qui a conclu à l’établissement de l’acte de naissance incriminé. Les deux témoins étaient des dirigeants du moment de l’USFRAN.
En fait, le joueur devait déposer ses valises dans ce club. Malheureusement, les deux parties n’ont pas trouvé de point d’accord sur le plan salarial. Le papier était déjà fait (...) et personne n’a eu l’idée de le récupérer. C’est cedit acte de naissance qui a permis de qualifier le joueur à l’USY de Ouahigouya. Lors d’un match USFRAN/USY, le club bobolais crie à la fraude sur le même joueur et demande les points du match. Mal lui en prit, lorsqu’il a été convaincu que la fraude était de son fait ». Les prochaines crises prévisibles qui naîtront de ce phénomène de traficotage auront-elles une fin aussi amicale ?
Pendant combien de temps pourrait-on contenir ou étouffer les crises nées de la tricherie sur l’âge ? Pourquoi s’entête-t-on à voir dans cette pratique le secret « du bain de jouvence » trouvé ignorant l’exemple du voisin ghanéen qui a été obligé de changer de fusil d’épaule après tant de carrières brisées ? Et si la difficile affirmation du footballeur professionnel burkinabè hors des frontières nationales tenait de là ? Et que dire du caractère illégal de l’acte ? Le magistrat Claude Bonzi, juge à la Cour de cassation a averti que le tripotage sur les âges qui relève du « faux en écriture » peut être puni comme un crime.