vendredi 29 novembre 2013
L’icône de la musique camerounaise donne un spectacle ce vendredi 29 novembre 2013 à Douala, à l’occasion de ses 45 ans de carrière. Evocation de ce géant, promoteur du célèbre rythme, benskin.
« J’ai voulu célébrer mes 45 ans pour encourager les jeunes artistes à ne pas céder à la facilité. Je sais que c’est dur, qu’ils évoluent aujourd’hui dans des conditions rudes parce que les entreprises préfèrent toujours donner de gros cachets aux artistes étrangers ; mais il est toujours possible de faire de bons spectacles. Et puis, cette maladie est générale à tous les secteurs du pays, on fait plus confiance à l’étranger qu’à son frère ». Ainsi s’exprimait l’artiste musicien Tala André Marie mardi 26 novembre 2013 à Douala pour justifier la célébration de ses 45 ans de carrière. Il débute ce vendredi 29 novembre 2013 par un concert à la salle de spectacle Douala Bercy et se poursuivra jusqu’en 2015. Il invite ceux qui seront de cette fête à être à l’heure parce qu’il « faut que nous changions de mentalité chez nous. Qu’avec le temps, qu’on fasse des concerts à guichet fermé comme cela se fait ailleurs ». Pour les élus de ce soir, il présentera en exclusivité les titres extraits de son maxi single intitulé « trajectoire », dans lequel il signe un duo avec Kareyce Fotso. L’artiste sert en plus du blues et du Jazz qu’on lui connait, du bikutsi soft. L’album sera entièrement disponible en décembre 2014. L’artiste promet aussi de revisiter avec le Tchamassi band, quelques chansons de son large répertoire dont lui-même ne peut faire le décompte : « J’ai fait tellement de disques, en vinyle, Cd, best of…je ne peux vous donner le nombre exact ». Un livre à lui consacré, « André Marie Tala, le verbe et la guitare » ; écrit par Guillaume Nana alors en service à l’ex ministère de la Culture, révèle qu’il fait partie des artistes les plus prolixes du Cameroun. Il n’a pas fait qu’écrire des textes pour « dire quelque chose » comme il le soutient, il a également su trouver des mélodies et rythmes qui vont avec. Un cocktail musical qui transcende le temps et les générations.
Des tubes mémorables comme, « Je vais à Yaoundé », consigné dans des livres de Français, « Union », utilisé pendant des années comme générique du journal au poste national, « Sikati », « Ben skin », « Ndjamena », « mother africa », « Pardonne-moi », « tu m’as menti », « spécial Tchamassi », « woman pass massa », « Nomtema » etc. n’ont pris aucune ride. Ils continuent de bercer des mélomanes de tout bord. De nombreux jeunes artistes reprennent ces chansons. Très souvent sans sa permission : « je ne suis pas fâché quand j’apprends que ma chanson a été reprise par un jeune frère ou une jeune sœur. Seulement, il faut qu’on la fasse bien. Sans anarchie et sans citer des noms des gens comme ils le font. Mes idoles, Myriam Makéba, Felah Kuti, Joe Dassin, Johnny Halliday, Franco, Les Beatles et autres ne le faisaient pas. Moi, je ne l’ai pas fait et je souhaite que les jeunes imitent de bons exemples ». Ses 45 ans de carrière sont placés sous le signe du partage entre les has been et les will be. Seront de la partie, d’autres artistes tels que ; Ekambi Brillant, San Fan Thomas, Ottou Marcelin, Nar6 Kouokam, Annie Anzouer, Bissi Mag, Prince Afo Akom... Des artistes qui, selon André Marie Tala, « font de la musique qu’on peut écouter en toute quiétude avec ses enfants ».
James Brown
« Hot Koki » est le célèbre titre qui a placé le Cameroun sur le toit du monde en 1975. Composé par André Marie Tala (un extrait de son premier 33 tours), il a été plagié par le célèbre artiste musicien américain, James Brown. Après quatre années de procédure, la Justice a donné raison à l’artiste camerounais. « Personne ne croyait pourtant que je pouvais avoir raison contre le grand James Brown », ironise l’artiste. C’est à l’hôtel Le Cocotier, devenu Le Méridien, se souvient AMT, qu’il rencontre l’Américain lors d’une tournée au Cameroun. En toute humilité, il lui fait écouter son album pour une éventuelle appréciation. Grande est sa surprise de constater quelque temps après, que James Brown l’a plagié. Soutenu par les siens, il engage la procédure qui lui donne finalement raison et lui ouvre surtout, d’autres portes. En décembre 1976 et janvier 1977, Tala André Marie partage la scène avec l’artiste musicien français Claude François en tournée au Cameroun. Tournée qui a vu la participation de Manu Dibango et Jean Bikoko Aladin. Quelques mois après, notamment en octobre 1977, Claude François invite le guitariste camerounais à poser ses valises à Paris et se propose de le produire. Ce projet ne verra malheureusement pas le jour parce que le Français meurt plus tard, électrocuté. Déterminé et passionné, A.M.T. ne baisse pas les bras. Il décide de rester à Paris et commence à enchaîner des tubes, qui l’amènent à se produire dans les quatre coins du monde. Il revient cependant, de temps en temps au pays de ses ancêtres faire des recherches musicales et se ressourcer. « Je ne suis pas de ceux qui se vantent d’avoir passé 15 ans en France sans revenir au pays. Je viens tous les ans et parfois, plusieurs fois par an, communier avec les miens », confie-t-il. Il envisage d’ailleurs s’installer définitivement au pays, si « toutes les conditions sont réunies ». L’artiste a en projet de créer au Cameroun, une école de musique et une école de braille à Bandjoun, son village natal, pour aider les aveugles comme lui, à s’instruire.
Guitare à fil de nylon
Si aujourd’hui la brillante carrière de Tala André Marie fait rêver plus d’un, tout n’a pourtant pas été rose dans sa vie. C’est à la suite de nombreuses épreuves qu’il a su se forger un mental de vainqueur. A l’âge de trois ans, il perd sa mère. Il est élevé par sa grand-mère, maître de chant traditionnel à Bandjoun dans l’Ouest Cameroun. Son oncle joue de l’accordéon. En début des années 1960, le jeune Tala intègre « le groupe d’écoliers chrétiens », dirigé par des Canadiens. Il y joue du tam-tam. Quelques années plus tard, il forme avec ses camarades, Tala Joseph et Toguo Jean-Marie, la première chorale de la paroisse Christ-Roi de Mbo’o. Stop ! Tout s’écroule brusquement en 1965. André Marie Tala est orphelin de nouveau. Il tombe malade. Il ne peut plus voir. Dur pour lui et pour ses proches. L’adolescent fabrique lui-même sa guitare pour s’occuper. Malgré son handicap, il travaille sans cesse. Touché par cette détermination, son oncle Paul Wafo lui offre une vraie guitare. Plus de répit ! Le jeunot fait en tout 18 heures de guitare par jour : « je ne dormais presque pas et j’ai tenu ce rythme acharné pendant trois ans », dit-il. En 1968, le groupe « Rock boys » fait de lui son leader. La même année, il rencontre Sam Fan Thomas. Ensemble, ils jouent dans le seul cabaret de Bafoussam, « La paillote », tenu par Philipe Tankou. Entre temps, « Rock boys » se transforme en « Black Tigers ». En 1971, le groupe décide d’aller voir ailleurs. Notamment Douala et Yaoundé. Tour à tour, ils écument les cabarets « la piscine », « la gare maritime », « Djengou » et « Castel » de Douala. A Yaoundé, un groupe solide coordonné par le ministre Paul Fokam Kamga organise une tournée nationale pour le groupe. C’est le début de la carrière solo de Tala André Marie. Le 2 septembre 1971, il donne un spectacle à guichet fermé au cinéma-théâtre Abbia. Ce, pendant trois jours successifs. Le public en redemandait, se souvient-il. Loin de monter sur ses grands chevaux, l’adolescent continue de bosser dur. Il fait des recherches sur le ben skin et crée le Tchamassi. « Je me suis rendu compte au cours de mes recherches que le benskin est un rythme national, quand j’ai constaté que dans des groupes de danse, il n’avait pas que les bamilékés mais des ressortissants de toutes les tribus du pays, un signe d’unité nationale pour moi. J’ai donc décidé de le travailler pour enrichir le patrimoine culturel national ». ce rythme est reconnu par la Fédération camerounais de danse comme une danse sportive. Mais cite-t-on son précurseur ?En 1972, le guitariste n’a que 19 ans. Il rencontre Manu Dibango et lui fait écouter « Sikati » et « Pôk tak Si na », de véritables classiques aujourd’hui.
Séduit par son talent, le saxophoniste camerounais lui demande de venir enregistrer à Paris. Un autre groupe de sensibilités dont le multimilliardaire Victor Fosto se mobilise pour lui acheter un billet d’avion. Une fois à Paris, Manu arrange six de ses chansons et les enregistre. En 1974, il rentre à Paris, enregistrer son premier 33 tours, « hot koki » plus tard plagié par James Brown. Tala André Marie vole de tubes en tubes, de succès en succès et de récompenses en récompenses. Dommage que son pays ne le lui rende pas assez bien. Car regrette-t-il : « j’avais souhaité qu’en 45 ans de carrière, mon pays ait déjà un circuit fiable de distribution de disque, que mon pays profite plus du procès contre James Brown et s’approprie pleinement des fruits de mes recherches dans la musique notamment le benskin »
De 1969 à 2014. 45 ans de dur labeur, de peines et de joies, de hauts et de bas. Qu’importe si le chemin a été long et plein d’embûches. L’arrivée est certaine aujourd’hui. Aux générations à venir de profiter amplement et honnêtement des fruits de cette riche et fulgurante carrière.
Par Adeline TCHOUAKAK(Le Messager)
Coup de chapeau : André Marie Tala, artiste musicien
45 ans à semer la joie, la gaieté. André-Marie Tala réussit son job à merveille. Il n’a pas eu à faire dans la grossièreté pour conquérir des fans dans toutes les catégories sociales et toutes les générations qui l’écoutent. C’est le cas de « Je vais à Yaoundé, Yaoundé la capitale » qui ne laisse personne indifférente depuis des décennies ; de « tous les jours des beaux frères » ou « un petit bisou » qui sont de véritables classiques. André Marie Tala a « mondialisé » le benskin qui est pourtant un rythme traditionnel qui faisait vibrer et tournoyer les jeunes du département du Ndé. Notre compatriote l’a sorti de là pour le faire écouter et danser à travers la planète pour ceux qui sont capables de prouesses artistiques. André-Marie Tala ne distille pas seulement le plaisir d’une musique pure, saine. Il faut honneur et son exemple mérite d’être suivi. On n’a pas besoin de glisser vers le bas ventre pour être immortel.