dimanche 19 janvier 2014
Comment avez-vous appris la mort de Roger Jean-Claude Mbédé ?
J’ai appris son décès vendredi. Deux jours auparavant, nous avions envoyé un messager dans son village car il ne répondait plus au téléphone. Roger Jean-Claude Mbédé s’était réfugié là car il y avait un mandat d’arrêt qui faisait qu’il pouvait être arrêté à tout moment. Il nous a alors annoncé la mauvaise nouvelle : il était séquestré. La famille nous accusait, mon association et moi, d’avoir passé un pacte avec le diable. Il fallait qu’on leur ramène toutes les photos, toutes les vidéos où l’on voyait Roger Jean-Claude Mbédé et où l’on parlait de son homosexualité. Sa famille a d’abord prétendu qu’il était en voyage, puis on a emmené le messager dans une petite pièce où se trouvait Roger. Il était très malade, très très mal en point. On était en train d’envisager comment l’extraire de cet endroit. On a même pensé à envoyer une ambulance avec des gardes du corps. Et puis, on a appris la nouvelle.
C’est un coup dur. Son arrestation a totalement brisé Roger Jean-Claude Mbédé. Il est tombé malade en prison et ce n’est qu’à sa libération provisoire qu’on a diagnostiqué un cancer des testicules. Sa maladie demandait un suivi médical qu’il n’a pas pu avoir en détention. Sa famille a affirmé au messager qu’elle souhaitait qu’il meurt pour laver la malédiction de son homosexualité. Sa famille l’a laissé crever.
Envisagez-vous des poursuites contre sa famille ?
Les seules suites judiciaires qui doivent être prises sont contre l’État du Cameroun. Il est responsable de la mort lente de Roger Jean-Claude Mbédé pour présomption d’homosexualité. L’État s’est engagé à protéger les minorités. En jetant en pâture la minorité homosexuelle, le Cameroun est devenu le premier criminel. Quand les défenseurs sont menacés - et je l’ai été -, personne ne bouge. Il y a une complicité active à l’homophobie tueuse dont a été victime Roger. Il était un simple étudiant qui n’avait jamais eu de problème avant son arrestation. C’est ce qui a causé sa chute. Son crime est d’avoir envoyé un SMS. Quel est l’État de droit qui peut condamner quelqu’un pour un acte sexuel non posé ? Il a sanctionné l’amour jusqu’à la mort. Il n’y a pas de vie privée pour des jeunes gens sans défense mais un crime d’homosexualité.
Je continuerai le combat jusqu’à ce que nous ayons une décision de la Cour suprême. C’est la seule procédure qui peut aboutir à l’arrêt de la pénalisation de l’amour. Nous y étions presque mais avec le décès de Roger, le procès n’aura pas lieu. Désormais, je vais tout faire pour porter l’affaire de Jonas et Franky, deux travestis camerounais soupçonnés d’être homosexuels parce qu’ils s’habillent en femme et boivent du Bailey’s, devant la Cour suprême. Roger Jean-Claude Mbédé n’est pas mort pour rien. Il est devenu un symbole malgré lui. Lorsqu’il était en prison, je lui apportais son courrier en provenance du monde entier dans des cantines !
Comment vivez-vous son décès ?
Je suis très affectée. Je l’ai accompagné de A à Z dans son trajet vers la mort. La famille m’en veut, elle me rend responsable. Je ne peux pas aller me recueillir sur sa dépouille pour l’instant. Peut-être plus tard, dans un an, deux ans… J’ai perdu un enfant. Il a été mon client lorsqu’il m’a confié son dossier mais il est avant tout mon enfant. Nous avions un lien très fort. C’était mon fils.
Source : France 24