vendredi 27 septembre 2013
Ancien dirigeant de la Fécafoot et actuel président de l’Etoile filante de Garoua, il parle du rôle d’Eto’o dans les Lions Indomptables et du Comité de normalisation.
Les Lions Indomptables ont hérité de la Tunisie pour le dernier tour éliminatoire de la Coupe du Monde Brésil 2014. Le coup est-il jouable ?
En principe, pour les Lions Indomptables, tous les coups sont jouables. Pour moi, l’un des principaux dangers pour notre qualification à la Coupe du Monde 2014 est la perception que nous avons tendance à avoir de notre adversaire miraculeusement repêché. Il faut tout faire pour aborder ces deux matches avec le plus grand sérieux possible afin d’éviter la situation que nous avons vécue en 2005 dans le cadre des éliminatoires pour la Coupe du Monde 2006. En allant gagner à Abidjan, nous pensions que l’essentiel était fait, compte tenu du fait que le dernier match se jouait à Yaoundé et nous opposait à l’Égypte qui n’avait plus aucune chance de qualification. Pourtant, bien avant le match contre la Côte d’Ivoire, le coach Artur Jorge nous répétait sans cesse, à notre grand étonnement, que le match le plus difficile pour lui était celui contre l’Égypte à Yaoundé !
Qu’est-ce qu’il faut pour vaincre la Tunisie ?
Il nous faut beaucoup de sérieux et de concentration. De toute façon, il y a l’obligation de se qualifier. Dans la perspective d’un vrai changement à la tête de la fédération, notre football a un besoin vital de cette qualification pour se construire véritablement. Sans les ressources de la Coupe du Monde, l’avenir risque d’être très sombre. Une qualification pour une phase finale de la Coupe du Monde de la FIFA représente au minimum une recette d’environ cinq milliards de francs CFA pour la fédération. Si nous avons de bons dirigeants à la Fécafoot, ce serait au moins 80% de cette somme qui servirait directement au développement de notre football au lieu de presque rien par le passé. Cette somme bien utilisée pourrait révolutionner tout l’environnement de notre football. Bref, c’est important que le prochain président de la Fécafoot ait les moyens de sa politique.
Le Cameroun ira peut-être en Tunisie sans son capitaine, Samuel Eto’o, qui a annoncé qu’il mettait fin à sa carrière internationale pour des raisons personnelles...
Malheureusement, sans Samuel Eto’o, notre sélection est amputée d’au moins 50% de sa valeur. Aucun pays au monde ne s’est passé d’un joueur d’une telle envergure et qui compte tant pour sa sélection. Si le but principal de notre équipe fanion est d’obtenir les meilleurs résultats possibles sur le terrain, nous devons tout faire pour qu’il revienne. Si avec lui nous avons 50% de chances de qualification face à la Tunisie, sans lui ce serait à peine 15%. Or, le football camerounais a un besoin vital de cette qualification et pour cela, nous devons réunir toutes les chances de notre côté, quitte à ce que le sort en décide autrement, comme en 2005.
Il se dit que Samuel Eto’o a voulu imposer des joueurs au sélectionneur, qui a refusé. Ce que le capitaine n’a pas supporté...
Une chose est d’opposer une fin de non-recevoir à une proposition de son capitaine et une autre chose est de divulguer le contenu de l’entretien dans les médias à quelques heures d’un match si important. Pour moi, ce qui se passe actuellement est un complot contre notre football. Personne ne pourrait me convaincre que M. Finke aime plus le Cameroun que Samuel Eto’o. Il ne faut tout de même pas oublier que M. Finke était présent dans les tribunes du stade Ahmadou Ahidjo le 23 mars dernier lors du match contre le Togo. Comme invité spécial du président de la Fécafoot, il était là dans l’espoir de voir le Cameroun perdre et remplacer dans la foulée Jean-Paul Akono. Vous comprenez donc qu’en lançant quelques semaines plus tard l’appel à candidatures pour le recrutement du sélectionneur, les dirigeants de la Fécafoot avaient déjà choisi M. Finke. J’ai donc de sérieux doutes sur la loyauté de M. Finke qui en plus, a montré qu’il n’a pas l’étoffe pour diriger les Lions Indomptables. Ne pas réussir à "gérer" Samuel Eto’o et en plus, le pousser vers la sortie alors qu’il représente le meilleur atout de cette sélection, est une faute professionnelle. Comment fait Mourinho en ce moment ? Ou Tata Martino avec Messi jugé capricieux et caractériel ? Ou encore Ancelotti avec Christiano Ronaldo ? Comment faisait Bilardo avec Maradona ? Et le si rigide Aimé Jacquet avec Zidane ? Je pense qu’il est temps de résoudre définitivement ce problème qui date déjà et qui nous empêche d’aller de l’avant.
Vous qui avez côtoyé ces Lions Indomptables au plus fort de la crise en Afrique du Sud, quel est réellement le problème ?
Le véritable problème est que le leadership de Samuel Eto’o n’a jamais été accepté par certains joueurs. Cette situation est née du changement de capitaine opéré par Paul Leguen en 2009 et a été par la suite aggravée par l’ancien exécutif de la Fécafoot qui a tout tenté pour l’écarter de la sélection. D’abord en triplant, d’autorité, la sanction décidée par la Commission de discipline de la Fécafoot dans le cadre du "Marrakechgate", ensuite en nommant Lavagne puis Finke à la tête de l’encadrement technique des Lions Indomptables avec pour mission de lui régler les comptes en s’appuyant bien évidemment sur un petit noyau de joueurs et d’encadreurs. A voir les derniers développements, l’on constate bien que ces mêmes personnes continuent de tirer les ficelles. Pour l’ancien exécutif de la Fécafoot, la non-qualification du Cameroun pour la Coupe du Monde 2014 serait une grande victoire.
On n’est pas à la première crise avec le même joueur. Quel est le problème d’Eto’o ?
Il faudrait peut-être lui poser la question. Ce que je sais, c’est qu’il n’était pas responsable des douloureux événements que nous avons vécus lors de la Coupe du Monde 2010. Au cours d’une réunion à Durban, je l’ai vu au bord des larmes demander pardon à certains de ses coéquipiers qui estimaient avoir perdu leur statut de titulaires à cause de lui et qui nous pourrissaient la vie en déstabilisant tout le groupe. Ceux qui nous ont trahis sont bien connus, mais j’ai l’impression qu’on lui fait porter cette croix depuis 2010. Je lui rends hommage pour son silence sur ces évènements qui, s’ils avaient été rendus publics, auraient provoqué un véritable chaos. Je rends également hommage à Paul Leguen qui avait tout pris sur lui, comme un vrai patron.
Comment mettre définitivement fin à ces problèmes de vestiaires dans les Lions Indomptables ?
N’attendons pas d’un joueur de l’envergure de Samuel Eto’o qu’il vienne à l’équipe nationale en marginal et en s’excusant pour tout et pour rien. L’on devrait attendre de lui le comportement d’un vrai leader. Pour cela, il faudrait tout d’abord lui reconnaître ce statut de leader qui lui a toujours été contesté par un petit noyau de joueurs au sein de la sélection. Reconnaissons-lui enfin sa vraie place et mettons-le devant ses responsabilités. Si j’étais responsable de l’équipe nationale fanion, j’aurais signé un contrat de performances avec Samuel Eto’o. Je lui aurais tout simplement remis toutes les clés de cette sélection pour un an renouvelable en prenant tous les Camerounais à témoin. A mon humble avis, les Lions Indomptables ne pourront se régénérer efficacement qu’autour de lui. Sans lui ce processus sera plus long et plus hasardeux. Il y a également trois ou quatre "jusqu’auboutistes" qu’on doit écarter de cette sélection et tout reviendra à la normale. Pratiquement les mêmes qui nous ont trahis et provoqué notre mauvaise prestation à la Coupe du Monde 2010 et qui jubilaient quand on encaissait un but.
Vous parlez des « jusqu’auboutistes » qu’il faut écarter de cette sélection. Qui sont-ils ? Pourquoi ?
Ils sont connus des dirigeants de notre football et je pense que cela est suffisant. En ce qui concerne la raison, elle est simple : pour eux, le départ de Samuel Eto’o de cette sélection est une condition sine qua non pour faire la paix. Doit-on accepter cela ? De toute façon, s’il y a un choix objectif à faire, ce serait logiquement celui de garder Samuel Eto’o tant qu’il est si performant en le mettant bien sûr devant ses responsabilités, avec le peuple camerounais comme témoin. Quant à Samuel Eto’o, je lui dis ceci : "Capitaine, si tu t’en vas en ce moment et de cette façon, l’histoire te jugera sévèrement..."
Parlons à présent du Comité de normalisation. Au regard de ses premières actions après bientôt trois mois de fonction, avez-vous le sentiment que le retour à l’ordre est en marche ?
Je suis grandement surpris par la façon de procéder du Comité de Normalisation dans la mesure où il est constitué de juristes. Je m’attendais à ce que ce comité fasse respecter la loi et les règlements qui régissent le fonctionnement de notre football.
Récemment, vous avez adressé une correspondance au président du Comité pour vous étonner que les exécutifs de la Fécafoot au niveau régional soient toujours en place. Qu’est ce qui fait problème ?
Alors que la Chambre de Conciliation et d’Arbitrage du CNOSC a invalidé les élections au sein des ligues régionales, le Comité de Normalisation les valide de fait, à l’exception, curieusement, des régions du Littoral et du Sud. Le Comité maintient ainsi illégalement, pratiquement tous les anciens réseaux qui ont desservi notre football et que nous avons combattus parfois au péril de notre vie. Le résultat de tout cela est que nous subissons actuellement des règlements de comptes et nous assistons à la reconquête de la Fécafoot par des personnes qui ont trahi notre football et je dirais même notre pays. De nouveaux clubs sont massivement créés de toutes pièces et tout est mis en œuvre pour exclure ou reléguer les clubs dirigés par des "opposants" à travers des instructions données aux arbitres.
Vous vous étonnez également que l’essentiel des pouvoirs la Fécafoot soit resté entre les mains du Secrétaire général qui a pourtant joué un rôle évident dans la crise qui a mené à la normalisation du fait de son parti pris...
Franchement, je m’attendais à une plus grande implication de tous les membres du Comité de normalisation dans le fonctionnement au quotidien de la fédération, à tous les niveaux. Au lieu de cela, nous constatons avec amertume que les commandes de la Fécafoot sont essentiellement entre les mains du Secrétaire général de la Fécafoot qui a pourtant une grande responsabilité dans ce qui est arrivé à notre football. Ce qui m’emmène malheureusement à croire que les membres du Comité de Normalisation n’ont pas pris toute la mesure de leurs responsabilités et j’en profite pour les inviter très respectueusement à revisiter l’histoire récente de notre football et les événements qui ont conduit à la mise en place de ce Comité.
Certaines sources indiquent qu’il y a une divergence d’approche entre le président du comité de normalisation et certains membres. Qu’en est-il exactement ?
Je n’en sais rien. Mais si c’est le cas, cela ne me surprendrait guère dans la mesure où l’on a l’impression que le président du Comité est isolé au milieu d’une organisation dont il est très loin d’imaginer les capacités de manipulation et de nuisance.
Vous avez été consulté par la commission chargé du processus électoral. Comment se sont déroulés vos échanges ?
J’y ai passé plus de deux heures d’horloge et nous avons abordé l’essentiel des questions relatives au processus électoral au sein de la Fécafoot. J’ai eu l’agréable surprise de constater que le président de cette commission a une grande capacité d’écoute et était au fait de certaines réalités (Pr Mouangue Kobila, NDLR). Il m’a semblé suffisamment imprégné de la situation globale, ce qui me fait croire que les conclusions de cette commission pourraient être bénéfiques pour l’avenir de notre football. Malheureusement, l’on peut se demander à quoi servirait tout cela si le jeu est faussé à la base, comme cela est en train de se passer dans les départements et les régions toujours aux mains des fidèles de l’ancien exécutif.
N’allons-nous pas vers une prolongation du mandat du comité de normalisation, étant donné qu’il ne reste que cinq mois alors que la tâche impartie est encore énorme ?
A mon humble avis, il n’y a aucune raison justifiant une rallonge du délai imparti au Comité qui a jusqu’au 31 mars 2014 pour finaliser le processus électoral sur la base de nouveaux textes. Huit mois, c’est largement suffisant pour cela. Dès le 1er avril 2014, notre football doit ouvrir une nouvelle page de son histoire, en complète rupture avec le passé.
Propos recueillis Jean Bruno TAGNE(Le Jour)